République démocratique allemande: Retour dans le futur...
À chacun ses Allemands ! À vous les capitalistes, à nous les prolétaires
15/10/2019. Ajout de quelques phrases correspondantes à la note 9, du fait de ma constatation de l'ignorance persistante qu'il exista en URSS deux tendances au sein de la direction soviétique quant à la question de maintenir ou non la RDA... M.A.
Par Michel AYMERICH
Je publie ci-dessous la traduction d'un article de prof Siegfried Prokop relatif à la parution du nouvel ouvrage de Egon Krenz, dernier secrétaire général du Sozialistische Einheitspartei Deutschlands (SED), dans lequel celui-ci partage souvenirs et réflexions relatifs aux responsabilités russes et allemandes de la fin de la RDA:
« NOUS ET LES RUSSES
Les relations entre Berlin et Moscou en automne '89 »
J'avais déjà publié un article à propos d'un autre livre, également écrit par Krenz, relatif à la Chine [1]. Deux livres, donc (sans parler de ses autres ouvrages...), qui mériteraient d'être traduits en français afin de permettre aux francophones de se forger une opinion indépendante d'un air du temps, devenu ô combien réactionnaire...
Le 7 octobre 1949, la République démocratique allemande (RDA) naissait. Une semaine auparavant, le 1er octobre 1949, la République populaire chinoise (RPC) était fondée.
Récemment, dans l'article « 70ème anniversaire de la République populaire de Chine. Le peuple chinois est fier ! » je me faisais un malin plaisir d'écrire : « La RDA a été détruite en 1989/1990, le second Anschluss a fait son œuvre.
Mais ayons à l'esprit qu'à elles seules, les deux villes de la province de Guangdong que sont Shenzhen et Guangzhou, respectivement 12,53 millions (chiffres de 2017) et 14,9 millions d'habitants, soit plus de 26 millions d'habitants, possèdent une population nettement plus importante que ne l'a jamais été celle de la RDA : 18 388 000 hab. (1950) ; 17 079 000 hab. (1961);16 740 000 hab. (1980).
L'histoire du socialisme ne s'est pas arrêtée avec la fin du «Mur de Berlin », loin de là, d'autant que l'épicentre du monde s'est déplacé en Asie. En Chine, en premier lieu et pour longtemps... [2] »
Rappelons que la création de la RDA en octobre 1949 fut la réponse soviétique à la fondation, à l’Ouest, le 23 mai 1949, des trois zones d'occupation américaine, britannique et française en République fédérale d’Allemagne (RFA). Le journal L’Humanité déclarait le 3 octobre 1949 :
«L’URSS considère la création d’un État séparé d’Allemagne occidentale comme une violation de l’accord de Potsdam.»
La RDA avait été créée en réponse à la création unilatérale de la RFA. Elle fera l'objet à plusieurs reprises de tentatives de négociations de la part de certains dirigeants soviétiques, prêts à la sacrifier en échange d'une Allemagne réunifiée sur la base de son désarmement.
Un objectif que les forces réactionnaires voulaient à tout prix empêcher :
«Une Allemagne unie comme celle que demandaient les Russes dans leurs notes, neutralisée et fondée sur les accords de Potsdam (c'est nous qui soulignons), nous ne pouvions l'accepter.» écrivit Adenauer, cité par Yves Durand [3].
Les forces réactionnaires ne pouvaient accepter une Allemagne démilitarisée au lendemain de la seconde guerre mondiale et de l'invasion par l'Allemagne de l'URSS. Une invasion qui provoqua 27 à 28 millions de morts soviétiques [4] et explique l'immense majorité des victimes du judéocide (SHOAH !) [5].
Sur la question des tentatives « soviétiques » (à bien des égards, le qualificatif d'anti-soviétiques serait plus approprié) de sacrifier la RDA, j'ai publié en 1994 à Berlin dans le cadre de l'Alternative Enquête-Kommission deutsche Zeitgeschichte (Commission d'Enquête Alternative de l'histoire contemporaine allemande) [6] une longue contribution. Elle parut dans Die kurze Zeit der Utopie, ouvrage collectif d'une quinzaine d'auteurs, dont Krenz, auquel nous avions participé sous la direction de Wolfgang Harich, édité par le professeur Siegfried Prokop [7].
Staline, en personne, avait « proposé à l'Ouest au printemps 1952 […] de révoquer la division de l'Allemagne en deux Etats. » expliquait Wolfgang Harich [8].
Il exista en Union soviétique, se souvient le général du KGB Soudoplatov, deux fractions quant à la question de l'avenir de la RDA : « d'un côté Béria et Malenkov, de l'autre Khrouchtchev, le maréchal Boulganine et Molotov. » L'existence de ces deux orientations dans la politique allemande de l'Union soviétique témoigne que la direction soviétique oscillait toujours entre d'un côté une politique de maintien de la RDA, de l'autre une politique visant à la constitution d'une Allemagne neutre et unifiée. [9]»
Je ne peux, ici, faute de place, reproduire l'ensemble des faits énumérés et leur analyse, c'est pourquoi j'invite expressément les lecteurs qui comprennent l'allemand à commander l'ouvrage Die kurze Zeit der Utopie et à lire les contributions (une traduction française de quelques-unes d'entre-elles serait souhaitable), dont la mienne, consacrée à une question qui dans ses conséquences a marqué un tournant dramatique dans l'histoire, celui conduisant à la destruction de l'URSS.
« La chute de l'URSS a été la plus grande catastrophe géopolitique du siècle dernier. » déclara Vladimir Poutine en avril 2005 [10].
Toutefois, une remarque. Il se pourrait bien que ce tournant fut un clin d’œil dialectique de l'histoire de l'humanité, et singulièrement de l'histoire mondiale du socialisme et du mouvement communiste international.
En effet, c'est en 1991, cette même année qui vit la dissolution de l'URSS et l'interdiction du Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS) (en russe : Коммунисти́ческая па́ртия Сове́тского Сою́за ou КПСС), que Deng Xiaoping formula sa stratégie (en vérité une tactique sur une longue durée) du «profil bas» : «Observons avec calme, garantissons nos positions, gérons les affaires avec sang-froid, cachons nos capacités et attendons notre heure, sachons garder un profil bas et ne prétendons jamais au leadership.[11]»
Aujourd'hui un certain nombre de résultats sont là, dont de très impressionnants : «Les réalisations de la Chine au cours des sept dernières décennies et les changements historiques qu'elle a traversés illustrent pleinement que seul le PCC peut diriger la Chine, que seul le socialisme peut sauver la Chine, que seuls la réforme et l'ouverture nous permettent de développer la Chine, le socialisme et le marxisme, et que le socialisme à la chinoise est la seule voie pour faire avancer la Chine vers la prospérité et la force, a souligné M. Xi. [12]»
NOTES
[1] «La Chine, comme je la vois» http://a-contre-air-du-temps.over-blog.com/2018/10/la-chine-comme-je-la-vois.html
[2] «70ème anniversaire de la République populaire de Chine. Le peuple chinois est fier! »http://a-contre-air-du-temps.over-blog.com/2019/10/70eme-anniversaire-de-la-republique-populaire-de-chine.le-peuple-chinois-est-fier.html
[3] Yves Durand, Naissance de la guerre froide, 1944-1949, Messidor/Temps actuels, 1984, Paris, p. 292.
[4] http://a-contre-air-du-temps.over-blog.com/2019/05/requiem-pour-un-massacre-va-et-regarde.html
[5] «Ôter les œillères que nous imposa la guerre froide [...] sans cette condition préalable, il est impossible de découvrir la nature et la dynamique du rapport qui lie anticommunisme et antisémitisme dans l'idéologie et le projet nazis. » Arno J.Mayer, La "solution finale" dans l'histoire, La Découverte, Paris 2002, p 14. http://a-contre-air-du-temps.over-blog.com/2016/06/le-22-juin-1941-les-fascistes-allemands-declenchent-la-guerre-totale-contre-le-judeo-bolchevisme.html
[6] L'Alternative Enquête-Kommission deutsche Zeitgeschichte, présidée par le philosophe Wolfgang Harich*, s’efforçait d'opposer un compte rendu historique plus équilibré face à la commission officielle qui instrumentalisait l'histoire dans un but anticommuniste. But ô combien pratique afin de détruire toute résistance à une union monétaire rapide, de ne laisser aucune chance aux entreprises est-allemandes et de faire place nette aux grands groupes ouest-allemands... *https://fr.wikipedia.org/wiki/Wolfgang_Harich
[7] Michel Aymerich, Anfang einer Kapitulation? Zu Ursachen und Wirkung der Außenpolitik der DDR-Regierung im Spannungsfeld der Deutschlandpolitik der Sowjetregierung 1985-1989/90, in Siegfried Prokop (Hrsg), Die kurze Zeit der Utopie: die "zweite" DDR im vergessenen Jahr 1989-1990, Elefanten Press, 1994, Berlin, 240 pages.
[8] Wolfgang Harich, Keine Schwierigkeiten mit der Wahrheit, Dietz Verlag Berlin, 1993, p. 18.
[9] Michel Aymerich, Anfang einer Kapitulation? Zu Ursachen und Wirkung der Außenpolitik der DDR-Regierung im Spannungsfeld der Deutschlandpolitik der Sowjetregierung 1985-1989/90, p. 34, Ibid.
[12] «70ème anniversaire de la République populaire de Chine. Le peuple chinois est fier ! » Ibid.
Egon Krenz sur la dernière année de la RDA et les Allemands et les Russes
« Vous manquez de dureté »
Par Siegfried PROKOP
Il n'existe toujours pas d'analyse marxiste exhaustive du bouleversement politique mondial survenu entre 1989 et 1991. Krenz attribue cela au fait que « certains partis de gauche » saluent servilement avec le dos courbé le « Geßlerhut » (Chapeau de Geßler) [1] au lieu de traiter cet héritage comme étant leur propre héritage et ce avec confiance en soi et de manière totalement autocritique.
Pour Krenz, par contre, il est important de savoir comment aurait-on pu faire les choses mieux, plus intelligemment et avec plus de succès que cela ne l'a été négocié en RDA à l'époque.
En tant que témoin situé en première ligne des conflits entre les dirigeants de l'URSS et de la RDA, il partage avec le lecteur des détails révélateurs. Cependant, il évite de confondre politiciens à titre individuel et volonté collective de l'Union soviétique.
Krenz trouve inquiétant que les dirigeants allemands d'aujourd'hui sont en train de mettre en péril tout ce qui du temps de la RDA avait déjà été acquis en relation avec les Russes.
Son récit de l'affrontement dramatique entre la RDA et l'Union soviétique à l'été 1984 est impressionnant. En juin, une réunion des États membres du CAEM [Rat für gegenseitige Wirtschaftshilfe. En français : Conseil d'assistance économique mutuelle. NDT.] avait eu lieu à Moscou, à laquelle Erich Honecker l'avait emmené. En entrant dans la salle Georgij, Krenz remarqua la rigidité de l'événement. Certaines délégations étaient déjà assises à leur place. Contrairement à l'habitude lors de telles rencontres, aucun salut mutuel ne fut échangé. À 11h30 les grandes portes doubles s'ouvrirent. Le Politburo du PCUS apparut. Au centre, Tchernenko, soutenu par Gorbatchev et le Premier ministre Tikhonov. Honecker dit: « Embarrassant, n'est-ce pas? » Krenz acquiesce. « Tu dois faire très attention », avertit Honecker, « que cela ne nous arrive jamais ».
Pendant la pause, le ministre de la Défense Ustinov, membre du Politburo du PCUS, invita Krenz à un verre de thé. Ustinov posa la question: « Ne pensez-vous pas que le temps de votre secrétaire général a expiré? Ne voulez-vous pas en discuter dans votre bureau politique? » Krenz, qui fut surpris par la question, répondit diplomatiquement. Honecker était au zénith de sa carrière politique. Un renversement était en 1984 impensable. Honecker lui raconta ensuite que Tchernenko l'avait informé que l'Union soviétique poursuivrait ses livraisons de matières premières en RDA dans les années 1985 à 1990 au même niveau que précédemment. Celles-ci étaient toutefois liées par l'engagement de la RDA de ne pas faire des concessions injustifiées à la République fédérale.
Le 27 juillet 1984, paraissait dans la « Prawda » un article qui attaquait la politique de revanchisme de la RFA. Des lecteurs de journaux expérimentés ont rapidement découvert que l'attaque s'adressait en réalité à la RDA. Un deuxième article de la Pravda, encore plus tranchant, a suivi. Le fait que la RDA ait réagi au stationnement des missiles Pershing et des missiles de croisière en RFA par une politique de « limitation des dégâts » déplaisait à Moscou. Pire encore: quant au stationnement des missiles dans les deux Etats allemands, Honecker avait déclaré: « Débarrassons-nous de ces trucs diaboliques! » La politique de Moscou, quant à elle, visait à l'égard de l'Occident une « ère glaciaire ».
Erich Honecker resta ferme. Il insista pour une clarification des positions. Le 17 août 1984, Tchernenko et Honecker se rencontrèrent secrètement à Moscou. Honecker, et non Gorbatschow, comme l'écrit Krenz, a appelé à une « comparaison des horloges » [En vue de parvenir à une synchronisation NDT.]. Le maréchal Ustinov, lequel prenait part à la rencontre, s' adressa directement à Honecker: «Vous manquez de dureté dans vos relations avec RFA.» Gorbatchev, en qui Honecker avait espéré un soutien, se présenta comme le porte-parole de la critique. Il accusa Honecker de préparer sa visite à Bonn et d'accepter des prêts de l'Allemagne de l'Ouest. Cela a conduit, résume Krenz, à une rupture de confiance entre les deux, ce que Honecker ne devait jamais plus surmonter. Honecker resta ferme lorsqu'il déclara finalement qu'il incombait au SED de décider ou non de sa visite en République fédérale. Le voyage a néanmoins été une nouvelle fois annulé après l’affrontement du 17 août 1984.
Krenz rapporte dans les 27 chapitres de son livre, en se basant sur ses archives privées et sur sa bonne mémoire, sur la dernière période de l'histoire de la RDA et le rôle qu’y ont joué les Russes. Des documents importants sont reproduits en fac-similé. L'ordonnance du 3 novembre 1989: « Pas de violence, l'utilisation d'arme à feu est interdite », mérite particulièrement l'attention. Krenz traite habilement les falsifications, par des hommes politiques de la BRD [RFA, NDT] comme le président fédéral Horst Köhler, de la politique de dialogue du 8 octobre 1989 à Leipzig. Avec ce livre, Krenz met également à travers ses remarques autocritiques des accents que l'on retrouve rarement chez les témoins contemporains.
D'autres éditions de son livre sont à souhaiter. Peu d'erreurs doivent être corrigées. Le Haut Commissaire Semyonov n'a pas participé aux réunions du Politburo du SED de 1949 jusqu'à 1954 (ailleurs jusqu'à 1955). Ce n'étaient qu'aux discussions les plus importantes entre le 6 juin et la fin de juillet 1953. Le Strauß-Kredit de 1983 a quand même été rappelé. Au départ, les États-Unis n'ont pas levé leur boycott du crédit face à la RDA. Sur le deuxième Strauß-Kredit, un prêt de trois milliards un an plus tard, seul le premier versement devait être rappelé car la solvabilité de la RDA avait entre-temps été reconnue par la Rhénanie-du-Nord–Westphalie. Dans ses « Notes de prison » [Notes de la prison de Moabit : « Moabiter Notizen », NDT], Erich Honecker a dit qu'en 1987, et non en 1986, il avait reçu des nouvelles de la « Maison Blanche » concernant l'existence de plans occidentaux de liquidation de la RDA. Ce n'est pas chaque kilomètre parcouru par les citoyens de la RDA sur les chemins de fer de la Bundesbahn [chemins de fer de la RFA, NDT] qui devait être payé en devises. Il s'agissait de la différence entre les kilomètres parcourus par les citoyens de la RFA sur la Deutsche Reichsbahn [chemins de fer de la RDA, NDT] et les kilomètres parcourus par les citoyens de la RDA sur la Bundesbahn. Étant donné que le nombre de citoyens de la RDA qui se rendaient en République fédérale était nettement plus élevé et que le territoire de la République fédérale était plus grand, cet écart s'élevait à 100 millions de marks allemands en 1988 que la RDA devait verser à la République fédérale.
NOTE:
[1] Selon la légende, Hermann Gessler aurait fait ériger un chapeau sur un poteau à Altdorf que tout un chacun devait saluer en passant. NDT.
Article paru dans Neues Deutschland le 15 août 2019 et traduit par Michel Aymerich
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