Lénine lors du troisième congrès du Komintern  (l'Internationale communiste) qui se tint du 22 juin au 12 juillet 1921

Lénine lors du troisième congrès du Komintern (l'Internationale communiste) qui se tint du 22 juin au 12 juillet 1921

 Les Nègres ont été les derniers à s’affranchir de l’esclavage et plus que les autres ils en portent encore les lourdes séquelles, ceci même dans les pays avancés, car le capitalisme ne peut «comporter» d’autre libération que celle accordée par la loi, laquelle est d’ailleurs restreinte autant qu’il se peut. [...] Et chacun sait de plus que, dans l’ensemble, la situation des Nègres d’Amérique est indigne d’un pays civilisé : le capitalisme ne peut donner une libération complète, ni même une égalité complète.

Lénine, Russes et Nègres, Janvier/Février 1913

[T]ous les partis communistes doivent aider directement les mouvements révolutionnaires des nations dépendantes ou ne bénéficiant pas de l'égalité des droits (par exemple, l'Irlande, les Nègres d'Amérique, etc.) et des colonies. 

Lénine, PREMIÈRE ÉBAUCHE DES THÈSES SUR LES QUESTIONS NATIONALE ET COLONIALE, 05 juin 1920.

Actualisé le 14/07/2020 à15:40 par l'ajout d'un post-scriptum... 

Seconde partie

(première partie suivie des remarques de G. GASTAUD)

Par Michel AYMERICH

Le texte de James P. Cannon que je partage ci-dessous est extrait d’une longue lettre adressée à l'historien Théodore Draper…[1], laquelle témoigne du rôle majeur que jouèrent les communistes de Russie soviétique, puis d’URSS dans la lutte pour l’égalité raciale entre Noirs et Blancs. « Tout ce qui était neuf et progressiste sur la question noire est venu de Moscou » écrivait-il.

James P. Cannon est l’un des fondateurs du Parti communiste des USA (PCUSA), dont il a été exclu en 1928 parce-qu’il  s'était rallié à Trotsky. L’intérêt de son témoignage en est d’autant plus important. Il ne peut être accusé d’écrire de manière purement complaisante. Non, les faits qu’il rappelle sont indéniables et seul l’anticommunisme primaire, lequel prend fréquemment le masque hypocrite de « l’anti-stalinisme » et/ou le mensonge grossier par omission systématique, explique que ce que rapporte Cannon soit très massivement ignoré.

Hier, aux États-Unis, se déroulaient de nouveau des manifestations contre le racisme, parallèlement aux célébrations officielles du 4-Juillet, «jour de l’indépendance» de « l'Amérique » (n'oublions jamais que les USA ne représentent pas à eux seuls le continent américain...). Des manifestations contre un racisme toujours vivace et meutrier.

Les USA sont un pays qui s'est construit (et en vit) par la spoliation des premiers habitants, par l'esclavage, la ségrégation, l'exploitation des travailleurs de toutes origines (les Blancs compris), les guerres extrêmement nombreuses, le rôle de shérif mondial au service du maintien du système d'exploitation généralisée qu'est le capitalisme-impérialisme...

Le New York Times, dans son édition du 29/06/2020 répertoriait 70 cas de violences policières similaires à celles ayant causé la mort atroce de «George Floyd, cet Africain-Américain de 46 ans mort le 25 mai dernier sous le genou d’un policier blanc de Minneapolis. [...] Au terme d’une enquête minutieuse, basée notamment sur des vidéos de violences policières mais également sur des rapports de police et d’autopsie, le quotidien new-yorkais a répertorié “au moins 70 personnes décédées dans les mêmes circonstances en ayant prononcé ces mêmes paroles”. […] L’âge de ces victimes, tuées lors d’arrestations musclées ou de gardes à vue par la police, “s’échelonne de 19 à 65 ans”, poursuit le New York Times, “la majorité d’entre elles avaient été interpellées pour des infractions mineures et plus de la moitié étaient des personnes noires” [2].

J'ai un rêve, mais je ne peux pas respirer
J'ai un rêve, mais je ne peux pas respirer

Joe Biden, l’ancien vice-président de Barack Obama représente un courant de la classe capitaliste qui dirige les USA depuis le 4 juillet 1776. Pour des raisons électoralistes il a admis l'existence de quelques réalités et prononcé quelques justes paroles qui n’engagent à rien (la présence d’un Noir à la présidence en été la démonstration historiquement récente).

Biden a concédé : «Notre pays a été fondé sur une idée, celle que nous naissons tous égaux. Nous n’avons jamais été à la hauteur de cette idée» et il a appelé à s’unir pour surmonter « plus de deux cents ans de racisme systémique » [3].

Quant à l’autre représentant de la même classe capitaliste au pouvoir, l’actuel président Donald Trump, il «a accusé les manifestants "radicaux" de vouloir "effacer" l'histoire américaine. "Nous sommes en train de vaincre la gauche radicale, les marxistes, les anarchistes, les agitateurs et les pilleurs", a-t-il lancé. [4]»

Lénine avait brièvement expliqué il y a plus d’un siècle ces vérités élémentaires: «Les Nègres ont été les derniers à s’affranchir de l’esclavage et plus que les autres ils en portent encore les lourdes séquelles, ceci même dans les pays avancés, car le capitalisme ne peut «comporter» d’autre libération que celle accordée par la loi, laquelle est d’ailleurs restreinte autant qu’il se peut. [...] Et chacun sait de plus que, dans l’ensemble, la situation des Nègres d’Amérique est indigne d’un pays civilisé : le capitalisme ne peut donner une libération complète, ni même une égalité complète. [5]»

Lénine à qui les Noirs d’Amérique du Nord doivent tant. Y compris les Obama, Condoleezza Rice, Colin Powell et tous les chiens de garde noirs du régime étasunien. Mais leur intérêt de classe l’emportant sur leur volonté et leur capacité intellectuelle et morale de connaître l’histoire, ces Noirs là ont tout au plus une connaissance profondément lacunaire des combats historiques pour l'égalité raciale initiés par les communistes du PCUSA appliquant les directives de Moscou !

"[T]ous les partis communistes doivent aider directement les mouvements révolutionnaires des nations dépendantes ou ne bénéficiant pas de l'égalité des droits (par exemple, l'Irlande, les Nègres d'Amérique, etc.) et des colonies. " (Lénine) « Première ébauche des thèses sur les questions nationale et coloniale (Pour le IIe Congrès Congrès de l'Internationale communiste) » publiée dans le compte rendu du Premier congrès des peuples d’Orient, Bakou 1920.

Que les Noirs du monde entier et en premier lieu les Noirs américains qui ont une vraie conscience historique, articulée à une conscience de classe, ainsi que tous les individus solidaires de cette juste cause qu'est la lutte pour l'égalité, lutte qui est loin d’être terminée, reconnaissent, enfin, l’apport crucial de Lénine, fondateur de la Troisième Internationale (Komintern) qui a impulsé le combat de manière radicale - cela au sens marxiste («Être radical, c'est prendre les choses par la racine.» écrivait Marx [6])- et ce faisant exigent sans tarder le rétablissement de la statue de Lénine à Berlin, à l'emplacement exact où elle s’y trouvait avant le second Anschluss [7] !

Statue de Lénine sur la Leninplatz à Berlin, capitale de la RDA.
Statue de Lénine sur la Leninplatz à Berlin, capitale de la RDA.

Qu'ils exigent aussi des statues de Lénine aux États-Unis, comme des statues de Claude McKay (voir ci-dessous) et d'autres héros communistes, précurseurs de la lutte historique inachevée pour l'émancipation raciale et sociale!

Et surtout, au-delà des symboles [8], certes très importants, que les Noirs du monde entier et en premier lieu les Africains du sud au nord s'inspirent concrètement dans leur lutte pour l'émancipation de l'exemple de la République populaire de Chine.

J'écrivais dans la première partie:

«Si aujourd’hui la Chine est devenue ce qu’elle est sous sa forme de République populaire de Chine dirigée par le Parti communiste chinois (PCC), c’est en grande partie parce que l’Internationale communiste - créée le 02 mars 1919 à l'initiative de Lénine, consécutivement à la révolution bolchévique d'octobre 1917 [...] - a donné naissance au PCC, fondé le 1er juillet 1921...

Une République populaire de Chine qui doit inspirer les peuples d’Afrique et inspire dors et déjà bien des Africains parmi les plus conscients.»  

P.-S. - Alors que j'avais rédigé puis publié cet article, j'ai appris qu'à Gelsenkirchen en Allemagne de l'Ouest, une statue de Lénine a été érigée le samedi 20 juin 2020.

« Prenant acte du mouvement international qui a vu tomber ces dernières semaines les statues de nombreuses figures historiques, notamment esclavagistes et colonialistes, la présidente du parti, Gabi Fechtner, a déclaré que “le temps des monuments dédiés aux racistes, antisémites, fascistes, anticommunistes et autres reliques du passé, est clairement derrière nous”. [9] »

NOTES

[1] Le Bolchévik, janvier-février 1992. N°116. L'essai de Cannon, dont de larges extraits sont partagés ci-dessous, a été publié dans Spartacist, N°30, édition française, printemps 1997.

[2] https://www.courrierinternational.com/article/le-chiffre-du-jour-i-cant-breathe-70-cas-de-violences-policieres-repertories-par-le-new-york

[3] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/07/05/aux-etats-unis-une-fete-nationale-au-gout-amer_6045244_3210.html

[4]https://www.france24.com/fr/20200705-%C3%A9tats-unis-une-f%C3%AAte-nationale-marqu%C3%A9e-par-la-d%C3%A9sunion-des-am%C3%A9ricains

[5] https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1913/02/vil19130200.htm

[6] « Il est évident que l'arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes ; la force matérielle ne peut être abattue que par la force matérielle ; mais la théorie se change, elle aussi, en force matérielle, dès qu'elle pénètre les masses. La théorie est capable de pénétrer les masses dès qu'elle procède par des démonstrations ad hominem, et elle fait des démonstrations ad hominem dès qu'elle devient radicale. Être radical, c'est prendre les choses par la racine. Or, pour l'homme, la racine, c'est l'homme lui-même. Ce qui prouve jusqu'à l'évidence le radicalisme de la théorie allemande, donc son énergie pratique, c'est qu'elle prend comme point de départ la suppression absolument positive de la religion. La critique de la religion aboutit à cette doctrine, que l'homme est, pour l'homme, l'être suprême. Elle aboutit donc à l'impératif catégorique de renverser toutes les conditions sociales où l'homme est un être abaissé, asservi, abandonné, méprisable, qu'on ne peut mieux dépeindre qu'en leur appliquant la boutade d'un Français à l'occasion de l'établissement projeté d'une taxe sur les chiens « Pauvres chiens ! on veut vous traiter comme des hommes !» Karl Marx, Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel. Introduction https://www.marxists.org/francais/marx/works/1843/00/km18430000.htm

[7] http://a-contre-air-du-temps.over-blog.com/2020/06/statues-deboulonnees-les-masques-tombent.html

[8] http://a-contre-air-du-temps.over-blog.com/2020/06/de-l-existence-de-deux-fronts.remarques-a-propos-de-l-article-statues-deboulonnees-hier-et-aujourd-hui-les-masques-tombent.html

[9] https://www.courrierinternational.com/article/controverse-une-statue-de-lenine-erigee-en-allemagne

La révolution russe et le mouvement noir américain

Par James P. Cannon (Extraits d'une lettre de 1959)

Les principales discussions sur la question noire ont eu lieu à Moscou, et c'est là-bas qu'a été élaborée la nouvelle approche du problème. Dès le deuxième congrès du Comintern, en 1920, «les Noirs en Amérique» était un point de l'ordre du jour, et il y eut une discussion préliminaire sur la question. La recherche historique établira de manière probante que l'impulsion initiale de la politique du CP sur la question noire est venue de Moscou, et qu'en outre l'élaboration ultérieure de cette politique, jusques et y compris l'adoption du mot d'ordre d'« autodétermination» en 1928, est venue de Moscou.

Sous l'aiguillon et la pression constante des Russes au sein du Comintern, le parti engagea pendant ses dix premières années un travail en direction des Noirs; mais il n'en recruta qu'un nombre très limité, et son influence dans la communauté noire ne représentait pas grand-chose. Il serait facile d'en tirer la conclusion pragmatique que toutes les discussions et tous les efforts portant sur cette politique pendant ces dix ans, de New York à Moscou, ont été beaucoup de bruit pour rien, et que les résultats de l'intervention russe ont été complètement négatifs.

C'est là peut-être l'opinion commune en ces jours de guerre froide, où l'aversion pour tout ce qui est russe tient communément lieu d'opinion réfléchie. Mais ce n'est pas conforme à 1 'histoire - et de très loin. Les dix premières années du communisme américain sont une période trop courte pour porter un jugement définitif sur les résultats de la nouvelle approche de la question noire imposée au parti américain par le Comintern.

L'analyse historique de la politique et de l'action du Parti communiste sur la question noire, et de l'influence russe dans leur formulation pendant les dix premières années d'existence du parti, aussi exhaustive et détaillée soit-elle, ne peut être satisfaisante si les investigations ne sont pas étendues aux dix années suivantes.

Il a fallu au jeune parti ces dix premières années pour s'engager de façon significative dans ce domaine auparavant inexploré. On ne peut pas comprendre les résultats spectaculaires des années 1930 sans se référer à la décennie de changement et de réorientation qui a précédé.

C'est là que les actions et les résultats ultérieurs trouvent leur origine.

Une analyse sérieuse du processus dans toute sa complexité doit commencer par la constatation qu'au début des années 1920 les communistes américains, comme toutes les autres organisations radicales de l'époque et de la période précédente, n'avaient pour point de départ sur la question noire qu'une théorie inadéquate, une attitude fausse ou indifférente et l'adhésion de quelques Noirs de tendance radicale ou révolutionnaire.

A ses débuts, le mouvement socialiste duquel le Parti communiste est issu n'avait jamais reconnu la moindre nécessité d'un programme spécifique sur la question noire.

Celle-ci était purement et simplement considérée comme un problème économique, faisant partie de la lutte entre les ouvriers et les capitalistes; rien ne pouvait être fait concernant les problèmes spécifiques de discrimination et d'inégalité avant l'avènement du socialisme.

Les meilleurs de ces socialistes des premières années étaient représentés par Debs, qui avait une attitude fraternelle envers toutes les races et était totalement exempt de préjugés.

Mais la déclaration suivante de Debs exprime les limites des vues de ce grand agitateur sur ce problème, qui était loin d'être simple: « Nous n'avons rien de spécifique à offrir aux Noirs, et nous ne pouvons pas nous adresser séparément à toutes les races. Le Parti socialiste est le parti de la classe ouvrière tout entière, sans considérations de couleur – la classe ouvrière tout entière, du monde entier» (Ray Ginger, The Bendinf? Cross). [...]

 La différence - et c'était une différence profonde – entre le Parti communiste des années 1920 et ses ancêtres socialistes et de tendance radicalisée s'est manifestée par sa rupture avec cette tradition. Les communistes américains des premières années, sous l'influence et la pression des Russes au sein du Comintern, apprenaient lentement et péniblement à changer leur attitude; à assimiler la nouvelle théorie de la question noire comme une question spécifique de citoyens de deuxième classe doublement exploités, question qui nécessitait un programme de revendications spécifiques faisant partie intégrante du programme d'ensemble - et à commencer à faire quelque chose à ce sujet.

Zinoviev, Claude McKay, Boukharine
Grigori Zinoviev, Claude McKay, Nicolaï Boukharine à Moscou en 1923

La véritable importance de ce profond changement, dans toutes ses dimensions, ne peut pas être mesurée de façon adéquate par les résultats obtenus dans les années 1920. Les dix premières années doivent être avant tout considérées comme une période préliminaire de réexamen et de discussion, de changement d'attitude et de politique sur la question noire - pour préparer l'activité future sur ce terrain.

Ce changement et cette préparation, amenés par l'intervention russe pendant les années 1920, devaient manifester leurs effets de façon explosive au cours de la décennie suivante. Les conditions hautement favorables pour l'agitation et l'organisation radicales parmi les Noirs, engendrées par la grande dépression, trouvèrent le Parti communiste prêt à s'engager sur ce terrain comme aucune autre organisation radicale ne l'avait jamais fait auparavant dans ce pays.

Tout ce qui était neuf et progressiste sur la question noire est venu de Moscou, après la Révolution de 1917, et comme résultat de cette révolution - non seulement pour les communistes américains qui ont réagi directement, mais aussi pour tous ceux qui se préoccupaient de cette question.

Claude McKay fait un discours au Kremlin, 1922.
Claude McKay fait un discours au IVe Congrès (novembre-décembre 1922) du Komintern

Par eux-mêmes, les communistes américains n'ont jamais imaginé quoi que ce soit de nouveau ou de différent par rapport à la position traditionnelle du radicalisme américain sur la question noire. Cette position, comme le montrent les citations ci-dessus, tirées des ouvrages de Kipnis et Shannon, était théoriquement assez faible et plus faible encore en pratique. La formule simpliste qui affirmait que le problème noir était simplement économique, un élément du problème capital-travail, ne trouva jamais d'écho parmi les Noirs qui savaient à quoi s'en tenir, même s'ils ne le disaient pas; ils devaient vivre avec une discrimination brutale, chaque jour et chaque heure.

Cette discrimination n'avait rien de subtil ou de dissimulé. Tout le monde savait que le Noir était toujours le plus mal loti, mais presque personne ne s'en préoccupait ni ne voulait faire quoi que ce soit pour essayer d'atténuer ou de changer cet état de choses. La majorité blanche, 90 % de la société américaine, était complètement imprégnée de préjugés anti-Noirs, y compris sa composante ouvrière, au Nord comme au Sud; et le mouvement socialiste reflétait ces préjugés dans une large mesure - même si, par considération pour l'idéal de la fraternité humaine, l'attitude socialiste était silencieuse, et prenait la forme de l'esquive. La vieille théorie du radicalisme américain s'avérait être dans la pratique une formule pour l'inaction sur le front noir, et aussi - incidemment un rempart pratique pour les préjugés raciaux latents des militants blancs eux-mêmes.

L'intervention russe changea tout cela, et le changea radicalement et pour le mieux. Avant même la Première Guerre mondiale et la Révolution russe, Lénine et les bolchéviks se distinguaient de toutes les autres tendances du mouvement socialiste et ouvrier international par l'attention qu'ils portaient aux problèmes des nations opprimées et des minorités nationales, et par le soutien actif qu'ils apportaient à leurs luttes pour la liberté, pour l'indépendance et pour le droit à l'autodétermination. Les bolchéviks accordaient ce soutien à tous les «peuples sans droits égaux» de façon sincère et sérieuse, mais il n'y avait là rien de philanthropique. Ils avaient aussi compris le grand potentiel révolutionnaire que renfermait la situation des nations et des peuples opprimés, et voyaient en eux des alliés importants de la classe ouvrière dans la lutte révolutionnaire contre le capitalisme.

Après novembre 1917, cette nouvelle doctrine - avec une insistance spécifique sur les Noirs - a commencé à être transmise au mouvement communiste américain, avec derrière elle l'autorité de la Révolution russe. Au sein du Comintern, les Russes prenaient à partie les communistes américains en leur demandant avec fermeté et insistance de se débarrasser de leurs propres préjugés non exprimés, de s'intéresser aux problèmes et aux doléances spécifiques des Noirs américains, de faire du travail parmi eux et de se faire les champions de leur cause dans la communauté blanche.

Il a fallu du temps aux Américains, éduqués dans une tradition différente, pour assimiler la nouvelle doctrine léniniste. Mais les Russes ont continué à insister, année après année, accumulant les arguments et augmentant la pression sur les communistes américains jusqu'à ce que, finalement, ils aient appris et changé, et qu'ils se soient mis au travail pour de bon. Et ce changement dans l'attitude des communistes américains, qui a eu lieu graduellement pendant les années 1920, devait avoir quelques années plus tard une influence profonde dans des cercles beaucoup plus larges.

Troisième et quatrième en partant de la gauche, Claude McKay et Nicolaï Boukharine que Lénine appelait "l'enfant chéri du parti"......

La rupture du Parti communiste avec la position traditionnelle du radicalisme américain sur la question noire coïncidait avec des changements profonds parmi les Noirs eux-mêmes. La migration à grande échelle depuis les régions agricoles du Sud vers les centres industriels du Nord s'accéléra considérablement pendant la Première Guerre mondiale et continua pendant les années qui suivirent. Ceci amena certaines améliorations dans leurs conditions de vie, par rapport à ce qu'ils avaient connu dans le Sud profond, mais pas assez pour compenser la déception d'être parqués dans des ghettos et d'être toujours soumis de tous côtés à la discrimination.

Le mouvement noir, tel qu'il existait à l'époque, avait soutenu patriotiquement la Première Guerre mondiale «pour que la démocratie règne dans le monde entier» ; et 400 000 Noirs avaient servi dans les forces armées. Ils rentrèrent au pays en voulant pour eux-mêmes une petite récompense démocratique, mais ne purent guère en trouver nulle part. On répondit à leur volonté nouvelle de s'affirmer par une recrudescence des lynchages et une flambée d'émeutes racistes dans tout le pays, au Nord comme au Sud.

Tout ceci mis bout à bout - les espoirs et les déceptions, la volonté nouvelle de s'affirmer et les représailles féroces contribua à l'émergence d'un nouveau mouvement noir, qui était en train de prendre forme. En nette rupture avec la tradition d'acceptation d'une situation d'infériorité dans le monde de l 'homme blanc, représentée par Booker T. Washington, une nouvelle génération de Noirs commença à revendiquer l'égalité.

Ce dont avait surtout besoin le nouveau mouvement noir qui émergeait - une minorité de 10% [de la population des États-Unis] - et dont il était presque entièrement dépourvu, c'était d'un soutien efficace dans la communauté blanche en général et dans le mouvement ouvrier, son allié indispensable, en particulier. Le Parti communiste, qui se faisait activement le champion de la cause des Noirs, et qui appelait à une alliance des Noirs et du mouvement ouvrier combatif, arriva dans cette situation nouvelle au bon moment, comme un catalyseur.

C'est le Parti communiste, et personne d'autre, qui fit des affaires de Herndon et de Scottsboro des causes célèbres au niveau national et mondial, et qui mit sur la défensive les bandes sudistes qui pratiquaient le lynchage légal – ceci pour la première fois depuis l'effondrement de la Reconstruction. Les activistes du parti dirigeaient des luttes et des manifestations pour que les Noirs au chômage soient dignement traités par les bureaux d'assistance, et pour réinstaller le mobilier des familles noires expulsées dans leur appartement vide.

CLIQUEZ SUR L'IMAGE POUR PLEINEMENT LA VISUALISER! Deux Afro-Américains, Thomas Shipp et Abram Smith, sont battus à mort puis pendus le 7 août 1930 à Marion, dans l’Indiana. Der Rote Stern (l'étoile rouge), le supplément illustré de l'édition de Die Rote Fahne (Le Drapeau rouge), journal du KPD (Parti communiste d'Allemagne), du 5 juillet 1931 publie la photo des suppliciés Thomas Shipp et Abram Smith. A gauche de l'image, au premier plan, un camarade Noir, puis Ernst Thälmann (président du KPD) et un délégué chinois lors d'une journée de solidarité de l'IAH (Internationale Arbeiterhilfe. En français : Secours ouvrier international)CLIQUEZ SUR L'IMAGE POUR PLEINEMENT LA VISUALISER! Deux Afro-Américains, Thomas Shipp et Abram Smith, sont battus à mort puis pendus le 7 août 1930 à Marion, dans l’Indiana. Der Rote Stern (l'étoile rouge), le supplément illustré de l'édition de Die Rote Fahne (Le Drapeau rouge), journal du KPD (Parti communiste d'Allemagne), du 5 juillet 1931 publie la photo des suppliciés Thomas Shipp et Abram Smith. A gauche de l'image, au premier plan, un camarade Noir, puis Ernst Thälmann (président du KPD) et un délégué chinois lors d'une journée de solidarité de l'IAH (Internationale Arbeiterhilfe. En français : Secours ouvrier international)

CLIQUEZ SUR L'IMAGE POUR PLEINEMENT LA VISUALISER! Deux Afro-Américains, Thomas Shipp et Abram Smith, sont battus à mort puis pendus le 7 août 1930 à Marion, dans l’Indiana. Der Rote Stern (l'étoile rouge), le supplément illustré de l'édition de Die Rote Fahne (Le Drapeau rouge), journal du KPD (Parti communiste d'Allemagne), du 5 juillet 1931 publie la photo des suppliciés Thomas Shipp et Abram Smith. A gauche de l'image, au premier plan, un camarade Noir, puis Ernst Thälmann (président du KPD) et un délégué chinois lors d'une journée de solidarité de l'IAH (Internationale Arbeiterhilfe. En français : Secours ouvrier international)

C'est le Parti communiste qui présenta exprès un Noir comme candidat à la vice-présidence en 1932 quelque chose qu'aucun autre parti radicalisé ou socialiste n'avait jamais imaginé faire.

Par de telles actions, ou des actions et de l'agitation similaires dans les années 1930, le parti secoua tous les cercles plus ou moins libéraux et progressistes de la majorité blanche et commença à provoquer un changement d'attitude radical sur la question noire.

James W. Ford candidat du PCUSA à la vice-présidence en 1932
James W. Ford candidat du PCUSA à la vice-présidence en 1932

En même temps, le parti devenait un facteur réel parmi les Noirs, et les Noirs amélioraient leur statut et leur confiance en eux-mêmes en partie comme résultat de l'agitation agressive menée par le Parti communiste sur cette question.

On ne peut pas se débarrasser des faits en disant: les communistes agissaient pour leurs propres intérêts. Toute agitation pour les droits des Noirs apportait de l'eau au moulin du mouvement noir; et l'agitation des communistes, à cette époque, était - et de loin - plus énergique et plus efficace que toute autre.

Ces nouveaux développements semblent contenir un élément contradictoire qui, à ma connaissance, n'a jamais été ni abordé ni expliqué. L'expansion de l'influence communiste dans le mouvement noir pendant les années 1930 a eu lieu malgré le fait qu'un des nouveaux mots d'ordre imposés au parti par le Comintern - le mot d'ordre d'« autodétermination» - autour duquel beaucoup de choses ont été dites et une multitude de thèses et de résolutions ont été écrites, et qui était même présenté comme le mot d'ordre principal, n'a jamais semblé adapté à la situation réelle. [...]

On attribue communément les progrès du mouvement noir, ainsi que le basculement de l'opinion publique en faveur de ses revendications, aux changements provoqués par la Première Guerre mondiale. Mais la plus grande chose qui est sortie de la Première Guerre mondiale, l'événement qui a tout changé, y compris les perspectives des Noirs américains, c'est la Révolution russe.

L'influence de Lénine et de la Révolution russe, même détournée et déformée comme elle le fut plus tard par Staline, avant de passer par le filtre des activités du Parti communiste aux États-Unis, a contribué plus que toute autre influence, d'où qu'elle vienne, à la reconnaissance et à l'acceptation plus ou moins générale du fait que la question noire représentait un problème spécifique de la société américaine - un problème qui ne peut pas être simplement ramené sous la rubrique générale du conflit entre le capital et le travail, comme c'était le cas dans le mouvement radical pré-communiste.

On ajoute quelque chose, mais pas beaucoup, en disant que le Parti socialiste, les libéraux et les dirigeants syndicaux plus ou moins progressistes ont accepté la nouvelle définition, et ont soutenu dans une certaine mesure les revendications des Noirs.

C'est exactement ce qu'ils ont fait; ils ont accepté. Ils n'avaient pas élaboré de théorie indépendante, pas de politique propre; où seraient-ils allés la chercher - dans leur propre tête? En aucune manière.

Dans les années 1930, ils étaient tous, sur cette question, dans le sillage du CP [Parti communiste des Etats-Unis. M.A.].

Les trotskystes et d'autres groupes militants dissidents qui eux aussi avaient appris des Russes - ont contribué comme ils l'ont pu au combat pour les droits des Noirs; mais les staliniens, qui dominaient le mouvement de radicalisation, dominaient également les nouveaux développements sur le terrain de la question noire. 

Tout ce qui était neuf sur la question noire est venu de Moscou - après que la Révolution russe eut commencé à faire entendre comme un coup de tonnerre, dans le monde entier, son exigence de liberté et d'égalité pour toutes les minorités nationales, pour tous les peuples assujettis et pour toutes les races - pour tous les humiliés et tous les proscrits de la terre. Ce tonnerre gronde encore, plus fort que jamais, comme l'attestent chaque jour les titres des journaux. Les communistes américains ont réagi les premiers, et avec le plus d'élan, à la nouvelle doctrine venue de Russie.

Mais les Noirs, et des couches significatives de la société blanche américaine, ont réagi indirectement, et réagissent encore - qu'ils le reconnaissent ou non. Les dirigeants officiels actuels du mouvement des «droits civiques» des Noirs américains, qui ne sont pas peu surpris du développement de sa combativité et du soutien qu'il reçoit de la part de la population blanche de ce pays, soupçonnent à peine à quel point le mouvement qui monte est redevable à la Révolution russe, qu'ils désavouent tous patriotiquement. Le révérend Martin Luther King, à l'époque de la bataille du boycott de Montgomery, faisait remarquer que son mouvement faisait partie intégrante de la lutte mondiale des peuples de couleur pour l'indépendance et l'égalité. Il aurait dû ajouter que les révolutions coloniales, qui sont effectivement un puissant allié du mouvement noir en Amérique, ont reçu leur impulsion initiale de la Révolution russe -et qu'elles sont stimulées et renforcées de jour en jour par le fait que cette révolution continue à exister sous la forme de l'Union soviétique et de la nouvelle Chine, que l'impérialisme blanc a soudainement «perdue». De manière indirecte, mais d'autant plus convaincante, les antisoviétiques les plus virulents, parmi lesquels on compte les politiciens libéraux et les dirigeants officiels des syndicats, attestent de ce fait quand ils disent: le scandale de Little Rock et des choses de ce genre ne devraient pas exister, parce qu'ils favorisent la propagande communiste parmi les peuples coloniaux à la peau foncée.

Lénine, les communistes et « la question noire » aux USA...
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