Nouvel article de Nkolo Foé : « La Chine et le défi de la crise russo-ukrainienne »

Le Parti a toujours insisté sur la nécessité de raffermir les idéaux et les convictions, de rendre plus rigoureuse son organisation et de faire régner strictement la discipline et les règlements dans ses rangs. La foi marxiste, le noble idéal communiste et l'idéal partagé du socialisme à la chinoise sont le pilier moral et l'âme politique des communistes, et constituent l'assise idéologique de la cohésion et de l'unité du Parti. Le Comité central a souligné que les idéaux et les convictions sont le « calcium » qui fortifie le moral des communistes. Faute d'idéaux et de convictions, tout communiste risque de souffrir de carences, ce qui conduit inévitablement à la « chondropathie » spirituelle, et de là, à la dénaturation sur le plan politique, à la cupidité sur le plan des biens matériels,

Résolution du Comité central du Parti communiste chinois sur les réalisations majeures et le bilan historique des cent années de lutte du Parti (TEXTE INTEGRAL) (5)

Les caractères mis en gras et en italiques dans l'article de Nkolo Foé le sont par moi...

Par Michel Aymerich

J'ai déjà eu l'occasion de partager un article [1] comme des extraits d'un second [2] écrits par le chercheur Nkolo Foé, membre du Conseil Consultatif International de l’Institut Chine-Afrique (Académie chinoise des sciences sociales).

A un moment, dans son article Nkolo Foé critique à juste titre un certain «Hu Wei […], l’auteur d’un article publié par le Carter Center, dans sa revue en ligne Us-China Perceptions Monitor. Largement diffusé en Amérique du Nord et en Europe occidentale, y compris sur les réseaux sociaux ».

Nkolo Foé écrit à son sujet : «Il est clair que l’auteur de ce propos a fait le choix de l’alignement et même de la soumission de la Chine à l’Occident.» puis plus loin le chercheur rappelle fort à propos que le «rêve des démocraties libérales a toujours été de favoriser la prise de contrôle de la direction du Parti communiste et de l’appareil d’État chinois par un groupe dissident ami, pro-capitaliste, pro-occidental et pro-OTAN, capable non seulement d’aligner la Chine sur les intérêts stratégiques de l’Occident, mais aussi d’annuler les acquis de la Révolution de 1949 en ralentissant, voire en stoppant carrément la marche vers l’édification socialiste, comme ce fut par exemple le cas dans l’ex-Union soviétique avec M. Gorbatchev et Boris Elstine

C'est une question que les communistes chinois n'ignorent pas, d'où l'importance des questions idéologiques et du refus du nihilisme historique [3] qui précède le changement de ligne et fait le lit de la contre-révolution. Parmi les plus conscients des enjeux, le secrétaire général [4].

L'existence d'un Hu Wei n'a rien de surprenant, elle témoigne de ce que bien évidemment en République populaire de Chine la lutte des idées et des courants, reflets à un titre ou à un autre de la lutte des classes [5], existe.

C'est bien parce-qu'il existe des Hu Wei qu'il est important de soutenir le camarade Xi Jinping [6] et la ligne qu'il représente...

Notes :

[1] https://a-contre-air-du-temps.over-blog.com/2021/07/100-ans-du-parti-communiste-chinois-le-monde-noir-et-la-lutte-d-emancipation-en-chine.html

[2] https://a-contre-air-du-temps.over-blog.com/2021/08/la-defense-de-la-paix-mondiale-passe-par-le-combat-contre-la-guerre-hybride-menee-contre-la-chine-et-la-russie-par-le-capitalisme-im

[3] Ici, par exemple, les deux premières parties d'un très long article chinois, https://a-contre-air-du-temps.over-blog.com/2020/12/un-article-chinois-invite-a-tirer-les-lecons-de-l-effondrement-de-l-union-sovietique-et-a-s-opposer-au-nihilisme-historique.html, et les troisième et quatrième parties, https://a-contre-air-du-temps.over-blog.com/2020/12/un-article-chinois-invite-a-tirer-les-lecons-de-la-desintegration-de-l-union-sovietique-et-a-s-opposer-au-nihilisme-historique.suite

[4] https://a-contre-air-du-temps.over-blog.com/2021/06/maintenir-et-developper-le-socialisme-avec-des-caracteristiques-chinoises-xi-jinping.html

[5] « En raison de facteurs internes et d'influences étrangères, la lutte des classes se poursuivra à long terme, quoique dans une sphère limitée, et elle pourrait même s'exacerber dans certaines conditions ; mais elle ne constitue plus un élément fondamental. » (Programme du Parti communiste chinois) https://a-contre-air-du-temps.over-blog.com/2020/12/adapter-constamment-le-marxisme-aux-conditions-chinoises-et-faire-briller-davantage-le-marxisme-contemporain-en-chine.html

[6] https://a-contre-air-du-temps.over-blog.com/2021/11/connaitre-et-comprendre-en-camarade-internationaliste-l-activite-du-dirigeant-communiste-exceptionnel-xi-jinping.html

LA CHINE ET LE DÉFI DE LA CRISE RUSSO-UKRAINIENNE

Par Nkolo Foé

Membre du Conseil Consultatif International de l’Institut Chine-Afrique

(Académie chinoise des sciences sociales) dans le Journal Mutations du 21 avril 2022

COMMENT L ’EUROPE ET L’AMÉRIQUE INTERPRÈTENT-ELLES LA POSITION CHINOISE SUR LA CRISE RUSSO-UKRAINIENNE ?

Depuis l’engagement militaire de la Fédération de Russie en Ukraine, les démocraties capitalistes, soutiens diplomatiques, économiques, financiers et militaires indéfectibles de l’Ukraine, accusent la Chine d’entretenir le flou, de louvoyer et de rechigner à désigner formellement le président russe comme l’agresseur.

Pour nombre d’idéologues et hommes politiques occidentaux, la réserve et la prudence des autorités chinoises équivalent ni plus ni moins à «un soutien sans faille à Vladimir Poutine», notamment, en raison de «l’amitié sans limites actée par l’accord de coopération du 4 février 2022» à Pékin.

Tel est notamment le point de vue de Nicolas Bavarez, membre du comité directeur de l’Institut Montaigne et président du groupe de travail «Affaires étrangères et défense» dudit think tank libéral basé à Paris et éditorialiste au journal de droite Le Figaro.

A l’appui de sa thèse, l’idéologue français cite pêle-mêle

- le refus chinois d’appliquer les sanctions internationales,

- l’abstention de la Chine lors du vote à l’ONU,

- l’inclination de la classe politique chinoise et des médias à relayer le «narratif de Moscou» qui rejette sur l’OTAN la responsabilité de la guerre.

Pour être complet, l’éditorialiste du Figaro présente la guerre d’Ukraine comme «le laboratoire de l’axe des régimes autoritaires et de leur stratégie visant à faire émerger un monde post-démocratique et post-occidental».

William Burns, le directeur de la CIA, va dans le même sens dans son discours au Georgia Institute of Technology le jeudi, 14 avril 2022.

Le responsable du renseignement américain présente le président chinois Xi Jinping comme «un partenaire silencieux dans l’agression de Poutine» («A silent partner in Putin’s aggression ».

A cette occasion, il précise même que la Chine demeure «le plus grand défi», ou encore le test le plus profond auquel ait été jamais confrontée l’agence américaine. Tout à l’opposé de ces vues, se trouve un autre groupe d’idéologues.

Ceux-ci mettent l’accent sur la rivalité sourde censée exister entre les deux superpuissances eurasiatiques, malgré les nombreux liens qu’elles ont tissés au cours des dernières décennies, dans le cadre de

- l’Union économique eurasiatique (UEE),

- des Nouvelles Routes de la soie,

- de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures,

- de l’Organisation de la coopération de Shanghai,

- du Fonds des Routes de la soie, etc...

Interrogé par la BBC, l’universitaire britannique Taras Kuzio a déclaré que non seulement l’image internationale de la Russie a été sérieusement abîmée, mais aussi que la Chine profitera de cette guerre pour «s’élever au rang de puissance alternative anti-occidentale dominante». Selon le professeur britannique, «la Chine est très heureuse» en raison du fait que «cette guerre définira la Chine comme la nouvelle puissance dominante anti-occidentale», la Russie s’étant «révélée être un pays en déclin», du fait de ses échecs en Ukraine.

Philippe Lugassy va plus loin en présentant la Chine comme un vulgaire Etat-voyou opportuniste, qui profite des malheurs des autres, en l’occurrence la faiblesse de son grand voisin pour y placer ses pions, muscler son emprise économique et «faire ses courses à prix soldés en Russie».

Selon ce point de vue, l’essor de la Chine, à la faveur de la guerre d’Ukraine, se fera nécessairement au détriment de sa partenaire russe. Certes, les deux puissances eurasiatiques partagent une position commune dans le défi à l’Occident.

Mais, selon Kuzio, la différence entre les deux géants de l’Eurasie est que l’un est une puissance montante, tandis que l’autre se présente désormais sous les traits d’une puissance en déclin.

L’autre différence essentielle est que la Chine possèderait une armée puissante alors que la Russie en serait dépourvue.

Au milieu de ces positions extrêmes, se trouve une autre catégorie d’idéologues qui critiquent le louvoiement de la Chine, partagée entre sa loyauté à l’égard de son grand voisin russe avec lequel elle partage 4200 kms et la sauvegarde de ses intérêts économiques en Occident.

C’est notamment le point de vue de François Godement, conseiller pour l’Asie de l’Institut Montaigne à Paris. Godement est l’auteur d’un article intitulé «Invasion de l’Ukraine : la Chine pèse ses intérêts».

Bien que sans preuves, Godement affirme que la Chine a d’abord été complice d’une agressivité russe dont elle pensait tirer parti sans en partager les risques, avant de découvrir, à son grand désarroi, qu’elle est embarquée dans une aventure qui excède son tempérament.

Godement estime que la pesée par Xi Jinping des intérêts du régime et de la Chine tout entière expliqueraient les oscillations et les louvoiements de la communication diplomatique chinoise, l’objectif étant de s’adapter aux attentes de partenaires autres que la Fédération de Russie, sans oublier la prise en compte des risques qui apparaîtraient pour le pays s’il arrivait que la Russie sorte trop affaiblie de son pari ukrainien.

Rappel des grands principes de la politique étrangère de Pékin

Malheureusement, aucun de ces points de vue ne reflète vraiment la réalité des faits.

Ces opinions témoignent même d’une profonde méconnaissance de la politique étrangère de la Chine depuis non seulement la fondation de la République populaire de Chine en 1949, mais surtout de la Conférence afro-asiatique de Bandung en 1955.

Cette conférence qui avait regroupé les principaux pays du tiers monde avait marqué un tournant décisif dans les relations internationales.

Il est universellement connu que l’événement le plus important de Bandung fut sans doute l’émergence de la Chine communiste comme puissance internationale.

Par ses propositions fortes, mais réalistes, Zhou En-Lai avait réussi à rallier à lui la majorité des délégués et à éclipser les grands ténors du tiers monde de l’époque comme Nehru (Inde) ou encore Nasser (Egypte).

Les propositions de la Chine concernaient notamment :

- la volonté de promouvoir l’intérêt mutuel et de vivre ensemble dans la paix ;

- le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de chacun ;

- l’abstention de menacer ou de commettre des actes d’agression les uns contre les autres ;

- l’abstention de s’ingérer ou d’intervenir dans les affaires intérieures des uns et des autres ;

- la reconnaissance de l’égalité de toutes les nations, grandes ou petites ;

- le respect du droit des peuples de tous les pays à choisir librement leur mode de vie, ainsi que leur système politique et économique ;

- l’indépendance des pays d’Afrique et d’Asie, etc...

Dans ses résolutions, la Conférence déclara appuyer totalement le principe du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes, condition préalable à la jouissance totale de tous les droits fondamentaux de l’homme, conformément à la Charte des Nations unies.

Au sortir de Bandung, le leadership moral de la Chine dans le tiers-monde était incontesté.

Ce sont les principes énoncés à la Conférence afro-asiatique qui seront repris, un an plus tard, au VIIIe Congrès du Parti communiste chinois, comme le montrent notamment le discours d’ouverture de Mao Tsé-Toung et le Rapport politique du Comité central du Parti communiste chinois présenté par Liu Shao-chi.

Dans son rapport, Mao avait déclaré que pour parvenir à une paix durable dans le monde, il importait de développer davantage l’amitié et la coopération avec les pays frères dans le camp du socialisme et renforcer la solidarité avec tous les pays épris de paix.

Il importait également d’établir des relations diplomatiques normales sur la base du respect mutuel de l’intégrité territoriale et de la souveraineté, ainsi que de l’égalité et des avantages mutuels, avec tous les pays désireux de vivre en paix avec la Chine.

Celle-ci devait à son tour apporter son soutien actif aux mouvements de libération nationale dans les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine ainsi qu’aux mouvements militant pour la paix et les luttes justes dans tous les pays du monde.

Profitant de l’actualité, Mao avait apporté le soutien inconditionnel de la Chine à l’Egypte, qui était alors confrontée à une agression des puissances impérialistes, suite à la nationalisation du Canal de Suez le 16 juillet 1956.

La position de la Chine sur le conflit russo-ukrainien depuis l’époque de Mao et Zhou En-Lai, la position de la Chine sur les conflits internationaux est restée constante. Le conflit russo-ukrainien ne fait pas exception à la règle.

C’est ainsi que le 25 février 2022, c’est-à-dire dès l’éclatement de la crise, le conseiller d’Etat et ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a clairement exposé en cinq points la position fondamentale de la Chine sur la question de l’Ukraine, dans le cadre des conversations téléphoniques avec son homologue de Grande Bretagne Liz Truss, le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Joseph Borrell et le conseiller diplomatique du président français Emmanuel Bonne.

Cette position, qui s’adresse aux deux parties en conflit, se présente ainsi qu’il suit :

- Au sujet de l’engagement militaire contre l’Ukraine, la position de la Chine est sans équivoque. Car «la Chine est fermement d’avis que la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les pays doivent être respectées et protégées et que les buts et principes de la Charte des Nations unies doivent être respectés avec sérieux. Cette position de la Chine est cohérente et claire, et s’applique également à la question de l’Ukraine ».

Au sujet des menaces qui pèsent sur la Russie, «la Chine défend le concept de sécurité commune, globale, coopérative et durable».

Tout en reconnaissant les droits légitimes de l’Ukraine, la Chine rappelle que «la sécurité d’un pays ne doit pas se faire au détriment de la sécurité des autres pays».

Les manœuvres de l’OTAN dans la région sont clairement dénoncées, car, selon le ministre Wang Yi, «la sécurité régionale doit encore moins être garantie par le renforcement voire l’expansion des blocs militaires».

Cela signifie que «les préoccupations légitimes de tous les pays en matière de sécurité doivent être respectées», y compris celles de la Russie qui fait face à une poussée de l’Alliance Atlantique vers ses frontières.

Ainsi, «compte tenu des cinq cycles consécutifs d’expansion de l’OTAN vers l’est, les revendications légitimes de la Russie en matière de sécurité devraient être prises au sérieux et résolues de manière appropriée».

S’agissant du recours à la force, le PCC et le gouvernement chinois marquent clairement leur opposition : «La situation actuelle n’est pas ce que nous voulons voir. Il est absolument impératif que toutes les parties fassent preuve de retenue afin d’empêcher toute détérioration ou même perte de contrôle de la situation en Ukraine. La sécurité des vies et des biens des civils doit être efficacement garantie et, en particulier, les crises humanitaires à grande échelle doivent être empêchées».

A partir de cette position, la Chine encourage le règlement pacifique du conflit et la tenue d’un dialogue direct entre les parties belligérantes ; elle appelle à la neutralité de l’Ukraine et assigne à ce pays une nouvelle mission : «servir de pont entre l’Est et l’Ouest, au lieu d’être la ligne de front des affrontements entre grandes puissances».

Enfin, la Chine souligne la place essentielle du Conseil de sécurité de l’ONU, appelé à jouer un rôle constructif dans la résolution du conflit.

Instruite par les fâcheux précédents de la Libye, de l’Irak, etc., la Chine souligne que l’ONU doit contribuer à réduire la tension plutôt qu’à attiser le feu, le pays désapprouvant «l’invocation délibérée du chapitre VII de la Charte des Nations unies qui autorise le recours à la force et aux sanctions».

Cette ligne fondamentale de la politique internationale de la Chine a été exposée, une fois de plus, le 18 mars 2022, par le président Xi Jinping lui-même, lors de sa conversation online avec le président américain J. Biden.

A l’issue de l’échange, des communiqués séparés ont été publiés par les deux parties en présence. Le contraste entre les communiqués américains et chinois est saisissant et témoigne de la différence non seulement de tempéraments entre les deux leaders, mais aussi de traditions diplomatiques entre les deux pays. Le communiqué de la Maison blanche est laconique (un paragraphe, 164 mots, comparé au communiqué chinois, dix fois plus !), le ton incisif et directif, le propos comminatoire.

Les coûts à imposer à l’«agresseur» sont au cœur de ce communiqué, tout comme «les implications et les conséquences si la Chine fournit un soutien matériel à la Russie». Les gages de bonne volonté sur l’épineuse question de Taïwan ne parviennent pas à atténuer l’agressivité des vues américaines tant sur la Russie que sur la Chine.

Or, c’est depuis Taïwan que le sénateur américain Lindsey Graham a menacé Pékin de représailles, en liant explicitement le sort de l’Ukraine et celui de l’île rebelle. C’était vendredi le 15 avril 2022.

A la tête d’une délégation de parlementaires américains, le sénateur Graham a déclaré que «abandonner Taïwan signifierait abandonner la démocratie et la liberté», avant de prévenir que les États-Unis feraient payer à la Chine «un plus grand prix pour ce qu’elle fait dans le monde». Ainsi, le soutien au président russe «doit avoir un prix».

C’est à cette occasion que nous apprenons que la sécurité de Taïwan constitue un enjeu mondial, l’île produisant 90% des semi-conducteurs haut de gamme indispensables à l’économie, selon les révélations d’un autre sénateur américain, Bob Menendez, président de la commission des affaires étrangères au sénat des États-Unis, membre de la délégation.

S’agissant de savoir si l’Amérique serait prête à envoyer des troupes pour protéger Taïwan, Lindsey Graham déclare que «toutes les options sont sur la table».

Ce ton menaçant sur l’Ukraine et Taïwan contraste nettement avec le ton apaisé et pédagogique du communiqué chinois qui rappelle la bonne entente qui avait présidé à la publication, il y a 50 ans, du Communiqué de Shanghai, au terme de la visite du Président Richard Nixon à Pékin, du 21 au 28 février 1972. Cette visite fut importante, car, elle marquait le retour de la confiance entre les deux pays, après des décennies de tension.

Or, dans ce communiqué, la partie américaine avait reconnu que «les Chinois des deux côtés du détroit de Taïwan soutiennent tous qu’il n’y a qu’une Chine et que Taïwan fait partie de la Chine. Le gouvernement américain n’élève pas de contestations à propos de cette position». La suite du communiqué précise l’intérêt porté par les États-Unis «au règlement pacifique de la question de Taïwan par les Chinois eux-mêmes», et, «ayant cette perspective en vue», les États-Unis affirment «l’objectif final qui est de retirer toutes les forces et installations militaires américaines à Taïwan». Le président Xi Jinping a donc voulu que l’esprit d’apaisement qui avait régné entre le président Richard Nixon et le premier ministre Zhou En-Lai continue de prévaloir.

Or, s’agissant de la situation en Ukraine, le leader communiste a été clair, en confirmant la position développée dès le 25 février 2022 par le ministre des Affaires étrangères Wang Yi.

D’après le communiqué chinois, «le président Xi a souligné que la Chine ne voulait pas voir la situation en Ukraine en arriver là», la Chine étant pour la paix et s’opposant à la guerre.

Le communiqué précise que l’attitude de la Chine n’a rien de conjoncturel, encore moins d’opportuniste - comme l’ont affirmé les analyses et les journalistes occidentaux -, car, «ceci est ancré dans l’histoire et la culture de la Chine».

Ce n’est donc pas pour rien que «la Chine prône le respect du droit international et des normes universellement reconnues régissant les relations internationales».

En adhérant à la Charte des Nations Unies, la Chine s’efforce de promouvoir «la vision d’une sécurité commune globale, coopérative et durable».

Enfin, en même temps que le président chinois invitait les parties belligérantes à la négociation pour une issue pacifique du conflit, il demandait également aux Etats-Unis et à l’OTAN d’entrer en dialogue avec la Russie afin d’aborder le cœur de la crise ukrainienne et ainsi, apaiser les préoccupations de sécurité tant de l’Ukraine que de la Russie. Dans cette position intransigeante, la Chine est en accord avec les principes édictés à la Conférence afro-asiatique de Bandung et maintes fois rappelés par le PCC, quel que soit le dirigeant au pouvoir.

Si l’on scrute attentivement le vote aux Nations Unies des pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, l’on observera que la position de la Chine reflète rigoureusement les vues du tiers monde. Les autorités chinoises n’ont donc aucune raison de s’écarter de cette voie, comme le leur demandait avec insistance l’universitaire chinois Hu Wei.

Le trouble introduit en Chine par l’article de Hu Wei

Hu est l’auteur d’un article publié par le Carter Center, dans sa revue en ligne Us-China Perceptions Monitor. Largement diffusé en Amérique du Nord et en Europe occidentale, y compris sur les réseaux sociaux, l’importance de l’article s’explique tant par la personnalité même de l’auteur que par les propositions faites aux autorités chinoises. Hu Wei est un universitaire de renom cumulant plusieurs fonctions de haut niveau : vice-président du Centre de recherche sur les politiques publiques du bureau du Conseiller au sein du Conseil des Affaires de l’Etat (autorité administrative principale de la République populaire de Chine), président de l’Association de recherche sur les politiques publiques de Shanghai et président du Comité académique de l’Institut Charhar.

Écrit le 5 mars 2022, c’est-à-dire un peu plus d’une semaine après le déclenchement des hostilités, l’article s’assigne trois objectifs majeurs :

- prédire l’issue de la guerre,

- analyser son impact sur le paysage international

- et enfin proposer au pays des choix stratégiques conformes à ses intérêts à long terme.

S’agissant de l’issue de la guerre, Hu Wei affirme que la Russie est condamnée à l’échec, d’autant plus que l’implication éventuelle de l’Occident aux côtés de l’Ukraine est une hypothèse hautement probable. Il n’écarte pas la fin de la Russie en tant que grande puissance. Pour ce qui est de l’impact de la guerre sur l’environnement international, Hu Wei envisage notamment le renouveau du leadership américain dans le monde et l’érection d’un nouveau rideau de fer partageant en deux blocs irréconciliables les démocraties d’une part et les dictatures d’autre part.

L’auteur souligne également l’affaiblissement des forces anti-occidentales dans le monde, le regain de vitalité des théories sur la «fin de l’histoire» et le réalignement d’un plus grand nombre de pays du tiers monde sur les valeurs occidentales. Une telle évolution contribuera à isoler davantage la Chine et à l’enfermer «dans un confinement stratégique» qui la couperait de l’Europe. Dans ce contexte, le Japon serait destiné à prendre la tête de la coalition antichinoise, la Corée du Sud se transformerait carrément en une colonie des États-Unis, tandis que Taïwan rejoindrait le chœur antichinois.

Ainsi, l’encerclement militaire de la Chine deviendrait inéluctable, sous la pression conjuguée

- des États-Unis,

- de l’OTAN (Alliance militaire Atlantique),

- du QUAD (Dialogue de Sécurité Quadrilatéral qui regroupe les États-Unis, l’Australie et l’Inde et le Japon),

- de l’AUKUS (Alliance militaire qui regroupe les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni),

tous vecteurs de valeurs et de systèmes occidentaux.

Ces derniers poseraient à la Chine un défi de taille.

Pour surmonter ces défis, il ne reste plus à la Chine qu’à opérer un choix stratégique conforme à ses intérêts égoïstes à long terme.

Ce choix consisterait à isoler immédiatement le président russe et à couper tout lien avec lui en cas de menace de perte de son pouvoir.

Dans le cas contraire, «la Chine devrait se réjouir et même soutenir Poutine, mais seulement si la Russie ne tombe pas».

Car, précise l’auteur, «être dans le même bateau que Poutine aura un impact sur la Chine s’il perd le pouvoir, la loi de la politique internationale disant qu’il n’y a pas d’alliés éternels ni d’ennemis perpétuels», cependant que «nos intérêts sont éternels et perpétuels » (Sic).

C’est dire que «dans les circonstances internationales actuelles, la Chine ne peut procéder qu’en sauvegardant ses propres intérêts, en choisissant le moindre des deux maux et en déchargeant le fardeau de la Russie dès que possible».

Visiblement adepte du Kaïros, c’est-à-dire de l’«Instant T» de l’opportunité, ou encore «du bon moment pour agir», le professeur Hu Wei estimait, au moment de la publication de son texte, qu’il restait à la Chine une petite fenêtre d’opportunité d’une ou deux semaines pour agir de manière décisive, en se débarrassant de la Russie. En renonçant à la neutralité, la Chine devrait:

- «se tenir aux côtés de la majorité des pays du monde» ;

- surtout, elle doit éviter de s’isoler de l’Occident.

Or, selon l’auteur, la meilleure option pour l’avenir consisterait à «se couper de Poutine et renoncer à la neutralité». Ceci contribuerait «à bâtir l’image internationale de la Chine et à faciliter ses relations avec les États-Unis et l’Occident.» Puisque l’objectif principal des États-Unis est d’empêcher la Chine d’assoir son hégémonie dans la région indo-pacifique, il est dans l’intérêt de cette dernière de faire des ajustements stratégiques appropriés pour modifier les attitudes américaines hostiles.

Pour Hu Wei, «l’essentiel est d’empêcher les États-Unis et l’Occident d’imposer des sanctions conjointes à la Chine». Celle-ci doit présenter des gages à l’Occident et prouver à l’Europe et à l’Amérique qu’elle est une grande puissance responsable et donc, digne de confiance. À ce titre, la Chine «ne peut pas soutenir Poutine». Parallèlement, «la Chine doit également prendre des mesures concrètes pour empêcher les possibles aventures de Poutine». C’est seulement à cette condition que la Chine gagnera des éloges internationaux, pour son action en faveur de la paix internationale.

On le voit, la grande préoccupation de Hu Wei est que la Chine doit à tout prix éviter l’isolement international et saisir toutes les opportunités qui s’offrent à elle pour «améliorer ses relations avec les États-Unis et l’Occident». Un choix stratégique qui éloignerait la Chine de ses partenaires naturels d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie.

Il est clair que l’auteur de ce propos a fait le choix de l’alignement et même de la soumission de la Chine à l’Occident.

Voilà pourquoi ce propos intrigue.

Il intrigue d’autant plus que la crise d’Ukraine constitue le deuxième grand défi international (après la COVID-19) auquel la Chine est véritablement confrontée, depuis la fin du 19e Congrès du PCC et la célébration du centenaire de la fondation du PCC.

La gestion de la COVID-19 par la Chine a été exemplaire, en raison de la solidarité avec le tiers monde.

Comme ne cessent de le rappeler les dirigeants chinois, la Chine partage le destin des autres pays du tiers monde et se tiendra toujours du côté du tiers monde. C’était là l’un des principaux mots d’ordre de Deng Xiaoping. Cette position fondamentale n’admet aucune compromission avec les puissances impérialistes, comme l’a réaffirmé le président Xi jinping dans son discours du centenaire.

À la communauté noire tant d’Afrique que de la diaspora des Amériques, le propos du professeur Hu Wei ne peut que tristement rappeler le «Compromis d’Atlanta», nom d’opprobre jeté à Booker T. Washington par W.E.B. Du Bois (l’ami de Mao), pour décrire la vieille attitude d’adaptation et d'oblativité des esclaves noirs affranchis, qui ne voyaient pas d’alternative au monde blanc, en dépit des ravages de l’esclavage.

Or, le risque dans la proposition du professeur Hu Wei est de rendre la Chine complice des aventures impérialistes. Du reste, cela a toujours été le désir secret des puissances occidentales, comme l’avait bien observé Samir Amin.

Le piège ayant été déjoué, en raison du resserrement des liens entre la Chine et les autres pays en développement, des manœuvres d’intimidation ont commencé, notamment depuis le lancement du «Pivot to Asia» initié par le président Barack Obama.

Le rêve des démocraties libérales a toujours été de favoriser la prise de contrôle de la direction du Parti communiste et de l’appareil d’État chinois par un groupe dissident ami, pro-capitaliste, pro-occidental et pro-OTAN, capable non seulement d’aligner la Chine sur les intérêts stratégiques de l’Occident, mais aussi d’annuler les acquis de la Révolution de 1949 en ralentissant, voire en stoppant carrément la marche vers l’édification socialiste, comme ce fut par exemple le cas dans l’ex-Union soviétique avec M. Gorbatchev et Boris Elstine.

Mais, il est un point sur lequel nous pouvons être d’accord avec la Russie de Poutine, à savoir le basculement de l’axe du monde vers l’Eurasie et l’Afrique. Dans cette hypothèse, c’est l’Occident qui serait marginalisée, tandis que la Chine constituerait le principal pôle de rayonnement de la civilisation mondiale. C’est cela qui rend attrayante l’hypothèse réaliste d’un monde post-occidental à la construction duquel les jeunes d’Afrique participent désormais avec enthousiasme, comme on le voit déjà au Mali, en République centrafricaine, etc.

Samir Amin a montré que la seule réponse efficace au chantage occidental réside :

- premièrement, dans le renforcement des capacités militaires de la Chine, avec la mise en place d’une puissance de riposte dissuasive ;

- deuxièmement, dans la poursuite avec obstination de l’objectif de la reconstruction d’un ordre international polycentrique, respectueux de toutes les souverainetés nationales et de la réhabilitation de l’ONU, marginalisée par l’Alliance Atlantique.

L’atteinte de cet objectif primordial implique la reconstruction d’un grand front du Sud, sous la forme d’un Bandung 2, seul capable de soutenir les initiatives indépendantes des nations anciennement colonisées.

À ce titre, l’Organisation de coopération de Shanghai devient une problématique intéressante, au regard des menaces multiformes qui pèsent sur l’Afrique et la Chine, composantes essentielles de ce Front du Sud.

En guise de conclusion

Confucius enseignait que «les richesses et les honneurs sont très ambitionnés des hommes ; si vous ne pouvez les obtenir qu’en sacrifiant vos principes, ne les acceptez pas».

Il précisait que «si l’homme honorable abandonne la voie de la vertu, comment soutiendra-t-il le titre d’«honorable» ?

L’homme honorable ne l’abandonne jamais, même le temps d’un repas.

Il y demeure toujours, même au milieu des affaires les plus pressantes, même au milieu des plus grands troubles».

Telle est donc la force de Li, l’un des piliers de l’édifice moral chinois.

Le Livre des Rites enseigne que «celui qui respecte et suit Li est celui qui a des principes, et celui qui ne respecte pas et ne suit pas Li est celui qui est sans principes» (chapitre 23). Or, «Li est à un pays ce que la balance est au poids, ce que la règle du menuisier est à la rectitude, et ce que l’équerre et le compas sont aux carrés et au cercles… Et quand le souverain est familiarisé avec Li, il ne peut être trompé par des manipulations astucieuses et tordues».

Sur l’Ukraine comme sur toute autre grande crise internationale, la Chine a su affirmer, une fois de plus, la fermeté de ses principes, rejoignant ainsi les vues de la grande majorité des peuples du monde.

Ces principes peuvent ainsi se résumer :

- opposition résolue à la guerre contre l’Ukraine et droit de la Russie à la sécurité.

De ce point de vue, Hu Wei a sous-estimé l’appui dont la Russie et la Chine bénéficient actuellement dans un continent comme l’Afrique. Les peuples noirs semblent avoir lié leur sort à celui de ces puissances eurasiatiques, qui œuvrent de concert pour l’avènement d’un monde post-occidental ou encore post-hégémonique, selon le vœu de Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères.

Yaoundé, le 19 avril 2022

 

Nouvel article de Nkolo Foé : « La Chine et le défi de la crise russo-ukrainienne »
Articles
Retour à l'accueil