Réflexions de Georges Gastaud : « Élites oligarchiques "françaises", 1940/2022, du choix de la défaite au choix de la défaisance »
Par Michel Aymerich
Le communiste et philosophe Georges Gastaud [1] fait part ci-dessous de ses réflexions productives à l'occasion de la récente publication [2] dans laquelle je citais «des extraits significatifs du Rapport de Staline présenté à Moscou le 6 décembre 1941 à l'occasion du 24e anniversaire de la Grande Révolution socialiste d’Octobre ». Cette publication traitait de la fin du « Blitzkrieg » fasciste devant Moscou !
Je reproduis ci-dessous ces extraits du Rapport de Staline afin d'aider le lecteur à mieux comprendre le texte de G. Gastaud qui suit. Ce faisant j'invite le lecteur après lecture de ce texte à lire l'ensemble de la publication composée de deux articles. Le mien et celui de la Fédération Internationale des Résistants (FIR) – Association des Antifascistes qui a été à l'origine de ma publication...
« ÉCHEC DE LA « GUERRE-ÉCLAIR »
« Comment expliquer que la « guerre-éclair », qui a réussi dans l’Ouest européen, n’a pas réussi, a avorté à l’Est ?
Sur quoi comptaient les stratèges fascistes allemands en affirmant qu’ils en auraient fini en deux mois avec l’Union Soviétique et pousseraient, en ce bref délai, jusqu’à l’Oural ?
C’est que, tout d’abord, ils espéraient sérieusement pouvoir créer une coalition générale contre l’URSS, y faire participer la Grande-Bretagne et les États-Unis, après avoir agité devant les milieux dirigeants de ces pays l’épouvantail de la révolution ; ils espéraient ainsi pouvoir isoler entièrement des autres puissances notre pays.
Les Allemands savaient que leur politique consistant à spéculer sur les contradictions entre les classes sociales de certains États, et entre ces États et le pays des Soviets, avait déjà donné des résultats en France, pays dont les gouvernants, s’étant laissé effrayer par l’épouvantail de la révolution, avaient dans leur frayeur jeté leur patrie aux pieds de Hitler et abandonné la résistance.
Les stratèges fascistes allemands pensaient qu’il en serait de même de la Grande-Bretagne et des États-Unis. C’est en somme dans ce but que les fascistes allemands envoyèrent en Angleterre le fameux Hess, lequel devait décider les hommes politiques anglais à se joindre à la croisade générale contre l’URSS. Mais les Allemands se sont cruellement trompés. (Applaudissements.) [...] Les Allemands comptaient ensuite sur la fragilité du régime soviétique, sur la fragilité de l’arrière soviétique ; ils présumaient que dès le premier choc sérieux et les premiers insuccès de l’Armée rouge, des conflits éclateraient entre ouvriers et paysans, les peuples de l’URSS en viendraient aux mains, il y aurait des soulèvements, et le pays se décomposerait en ses éléments constituants, ce qui favoriserait la progression des envahisseurs allemands jusqu’à l’Oural. Mais là encore les Allemands se sont cruellement trompés.
Les insuccès de l’Armée rouge, loin d’affaiblir, ont renforcé encore l’union des ouvriers et des paysans, ainsi que l’amitié des peuples de l’URSS. (Applaudissements.)
Bien plus, ils ont fait de la famille des peuples de l’URSS un camp unique, indestructible, qui soutient avec abnégation son Armée et sa Flotte rouges.
Jamais encore l’arrière soviétique n’a été aussi solide qu’à présent. (Vifs applaudissements.) Il est fort probable que tout autre État, avec des pertes de territoires comme celles que nous avons subies jusqu’à présent, n’aurait pas résisté à l’épreuve et aurait périclité.
Si le régime soviétique a supporté avec cette facilité l’épreuve et renforcé encore plus son arrière, c’est que le régime soviétique est, à l’heure actuelle, le régime le plus solide. (Vifs applaudissements.)
Les envahisseurs allemands comptaient enfin sur la faiblesse de l’Armée et de la Flotte rouges ; ils présumaient que l’armée et la flotte allemande réussiraient, dès le premier choc, à culbuter et à disperser notre armée et notre flotte, à s’ouvrir la route pour pénétrer sans obstacle dans l’intérieur de notre pays.
Mais là encore les Allemands se sont cruellement trompés, car ils surestimaient leurs forces et sous-estimaient celles de notre armée et de notre flotte. [...] Mais d’abord, le moral de notre armée est supérieur à celui de l’armée allemande, car elle défend sa Patrie contre les envahisseurs étrangers et croit en la justice de sa cause, alors que l’armée allemande mène une guerre de conquêtes et met au pillage un pays étranger ; elle ne peut avoir foi, même un instant, en la justice de sa cause ignominieuse [3]. »
Notes :
[1] Co-secrétaire national, avec Fadi Kassem, du Pôle de renaissance communiste en France (PRCF), il dirige également le journal mensuel Initiative communiste et il est directeur de publication adjoint la revue théorique ÉtincelleS.
[3] Ibid.
Élites oligarchiques "françaises", 1940/2022, du choix de la défaite au choix de la défaisance
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Par Georges Gastaud*
L'analyse comparative par Staline des racines de classe profondes de la victoire soviétique sur l'"Invincible Wehrmacht" et du rapide effondrement symétrique de l'armée française devant l'envahisseur allemand n'a pas pris une ride et comporte encore de forts enseignements pour notre époque.
Si les défaites initiales de l'Armée rouge lors du déclenchement de l'opération Barbarossa ont soudé le peuple soviétique dans un élan patriotique sublime, c'est parce que l'État créé par la Révolution d'octobre en tant que République ouvrière et paysanne marchant vers le socialisme et dirigé par un parti communiste d'avant-garde, était intrinsèquement solide. Non seulement l’État soviétique ne redoutait pas son peuple, mais, malgré ses défaites initiales en 1941, il ne faisait qu'un avec lui, fusionnant comme jamais la défense de la patrie et la visée du communisme: il suffit pour s'en convaincre de lire les paroles de l'hymne soviétique (paroles qu'a censurées et remplacées le régime contre-révolutionnaire actuel, mais que tous les ex-Soviétiques ont gardées dans leur cœur, et à l'occasion, sur leurs lèvres).
A l'inverse, l'État bourgeois français de l'époque était incapable de défendre la patrie agressée, puis envahie par l'impérialisme allemand parce que, fondamentalement, cette République bourgeoise apeurée se défiait du peuple travailleur, parce que la classe dominante "française", d'ailleurs intimement mêlée à la bourgeoisie d'outre-Rhin, préférait très ouvertement le brutal régime anti-ouvrier allemand au Front populaire français, à la "Gueuse" républicaine et laïque, ainsi qu'au parti communiste français en plein essor de Thorez et Frachon, lesquels avaient l'intelligence stratégique, dès les débuts du Front populaire, de remettre la classe ouvrière à la tête de la nation en associant systématiquement le drapeau rouge au drapeau tricolore et la Marseillaise à l'Internationale. Durant la "drôle de guerre", on vit ainsi les gouvernants français plus préoccupés de traquer les militants et élus du PCF réduit à la clandestinité, faire militiairement mouvement (sous la conduite des réactionnaires Gamelin et Weygand) contre l'URSS par la Finlande et par la Syrie, plutôt que d'engager réellement les hostilités avec l'armée hitlérienne massée à nos frontières. C'est ce que notre camarade Annie Lacroix-Riz, reprenant une expression de Marc Bloch, a justement nommé le "choix de la défaite" en le rapportant à ses racines de classe profondes.
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Les mêmes causes sociopolitiques produisent aujourd'hui les mêmes effets sous des formes et dans des périmètres forcément différents, mais avec des conséquences de principe non moins graves pour l'indépendance, voire l'EXISTENCE de notre pays, qu'au début des années 1940. Certes, aucun envahisseur déclaré ne nous presse aux frontières. Mais n'est-il pas plus grave encore, dans le principe, que notre oligarchie encore plus antinationale si c'est possible que ne l'étaient ses prédécesseurs de 1940, fasse le choix inavouable, pour des raisons de classe non moins odieuses que ne l'étaient celles des années trente et quarante, de la servitude volontaire et de la défaisance méthodique du pays ? Pour en finir globalement avec les acquis sociaux, laïques et républicains accumulés par le peuple travailleur de France depuis la Révolution française, la Commune, le mouvement laïco-republicain de 1905 (Jaurès...), 1936, 1945, pour conjurer à jamais le spectre rouge de la grève ouvrière de masse de 68, pour permettre au grand patronat "français" de mondialiser ses profits et de tenter (en vain) de devenir le brillant second des impérialismes américain et/ou allemand dominants, rien de tel en effet que de faire le choix de la DÉFAISANCE FRANÇAISE au nom de l'intégration euro-atlantique du pays. Rien de tel non plus, sous ce drapeau pseudo-internationaliste et en réalité, néo-pétainiste, néo-versaillais et fascisant, que de disloquer la texture républicaine, fût elle bourgeoise, des institutions républicaines héritées de 1789 et de 1793 (communes, départements, souveraineté nationale, laïcité institutionnelle...), l'ensemble du secteur public et nationalisé, les bases industrielles et agricoles de l'existence sociale des ouvriers, des techniciens, des ingénieurs et des paysans de France (immigrés inclus), voire de substituer à toute vitesse le tout-anglais du nouvel Empire euro-americain à la langue officielle de la République française.
C'est pourquoi la reconstruction du parti communiste en France ne saurait faire abstraction de la lutte, à la fois socialiste par son contenu et par sa visée stratégique, et patriotique par sa forme et par son large périmètre anti-oligarchique, pour sortir à temps notre pays du fascisant étau où la classe dominante est en passe de le broyer entre dislocation euro-atlantique et fascisation politique appuyée sur la relance des extrêmes droites, elles mêmes entièrement rétives a toute idée de Frexit et ne se rattachant à la "nation" que par une xénophobie sordide.
Pour reconstruire notre pays, la reconstruction d"un parti communiste de combat est indispensable. Mais la réciproque vaut pleinement. Si un peu de conscience de classe communiste et prolétarienne écarte le souci patriotico-républicain de la nation, beaucoup y ramène et jamais autant qu'aujourd'hui n'aura été vraie la phrase du Manifeste du parti communiste qui enjoint à la classe ouvrière de "devenir la nation" en associant étroitement la lutte pour le socialisme, la résistance à la destruction nationale et le renouveau du combat antifasciste et internationaliste.
JE PROFITE DE L'OCCASION POUR REMERCIER MICHEL AYMERICH DE SON TRAVAIL PIONNIER SUR LA CHINE ET LA RUSSIE. Tout ce qui sert la paix sert aussi la France des travailleurs et de la renaissance communiste !