Erich Honecker à Beijing (Pékin) avec Deng Xiaoping, octobre 1986

Erich Honecker à Beijing (Pékin) avec Deng Xiaoping, octobre 1986

Soit l’humanité sera précipitée dans l’abîme par le capitalisme, soit elle vaincra le capitalisme. Cette dernière solution est la plus vraisemblable et la plus réaliste, car les peuples veulent vivre. Malgré toutes les difficultés et les dangers, malgré la sinistre situation actuelle, je suis et demeure confiant. L’avenir appartient au socialisme.

Erich Honecker, prison de Moabit, à Berlin, 1992

Actualisé à 10: 30, le 01/06/2021

Par Michel Aymerich

Erich Honecker avait adhéré en 1929, dès l'âge de 17 ans, au Parti communiste d'Allemagne (Kommunistische Partei Deutschlands, KPD).

Après la nomination d'Hitler au poste de chancelier le 30 janvier 1933 et l'établissement de «la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier [1]», il mène des activités de résistance, notamment en tant que l'un des dirigeants de la Ligue des jeunes communistes d'Allemagne (Kommunistischer Jugendverband Deutschlands, KJVD)...

Arrêté en 1935 par la Gestapo, il est condamné à dix ans de prison, près de Berlin, et libéré par l'Armée rouge le 27 avril 1945.

Il est l'un des membres fondateurs de la Jeunesse libre allemande (Freie Deutsche Jugend, FDJ) et son président jusqu'au 27 mai 1955. Plus tard il est secrétaire général du Comité central du Parti socialiste unifié d'Allemagne (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands, SED) du 22 mai 1976 au 18 octobre 1989 et président du Conseil d'Etat de RDA du 29 octobre 1976 au 18 octobre 1989.

Après la contre-révolution politique et sociale en RDA, et la restauration forcée et accélérée du capitalisme, Honecker se réfugie en URSS à Moscou. L'URSS est à son tour en proie à la contre-révolution dirigée par Boris Eltsine. Ce dernier finit le 29 juillet 1992 par le livrer à Berlin, redevenue capitale de l'impérialisme allemand.

Honecker est alors victime d'un procès politique, doublement mémorable à mes yeux. Doublement, car il a été un procès historique, mais aussi un procès auquel j'ai assisté lors de deux séances en compagnie de son beau-frère Manfred Feist et de Hans Wauer, responsable du KPD (interdit en RFA depuis 1956, mais légal sur le territoire de l’ancienne RDA qui subit le «second Anschluss»[2]).

Une anecdote révèle bien la situation. Lorsque le juge entre dans la salle du tribunal, l'ensemble des personnes présentes se lèvent comme un seul homme. Sauf nous trois. Ce qui nous vaut immédiatement la réplique du juge : «Vous vous levez ou vous sortez !» Une illustration parlante de la dictature de classe de la bourgeoisie dans sa banalité.

Ce fut un procès politique historique où l’impérialisme allemand a de nouveau jugé et condamné des communistes !

Helmut Schmidt, ancien chancelier fédéral d'Allemagne de l'Ouest a reconnu: «À l'égard des communistes après 1990, on s'est comporté d'une manière bien pire que ce qui avait été fait au début de l'Allemagne fédérale à l'égard des anciens nazis [3]»

En hommage à la mémoire de Erich Honecker, voici plus bas quelques extraits de sa déclaration politique « Debout devant les vainqueurs ! » faite devant le Tribunal de Grande Instance à Berlin, le 3 décembre 1992.

NOTES :

[1]https://www.initiative-communiste.fr/articles/luttes/fascisme-et-classe-ouvriere-par-georges-dimitrov/

[2] Dans le journal La Tribune, on peut lire ceci: «Cet ouvrage, "Le Second Anschluss", déconstruit un des grands contes de fées contemporain : le succès de la réunification allemande. Dans un livre richement documenté et à la logique implacable, Vladimiro Giacchè montre que la RDA de 1989 était certes une économie déclinante, mais elle n'était pas « en banqueroute » comme l'ont prétendu les dirigeants ouest-allemands pour justifier une union monétaire rapide. [...] Aucune chance n'a, en réalité, été laissée aux entreprises est-allemandes. Place nette aura été faite pour les groupes ouest-allemands et la population de l'ex-RDA en aura fait les frais. C'est pourquoi Vladimir Giacchè revendique le terme « d'annexion » qui a été banni du débat public allemand.

25 ans après la réunification, il est peut-être temps d'ouvrir ce dossier. D'autant que le scandale Volkswagen est venu rappeler que «l'exemplarité» allemande demeure sujette à caution. » (La Tribune, L'ex-RDA est un Mezzogiorno au centre de l'Europe, 02/10/2015) http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/l-ex-rda-est-un-mezzogiorno-au-centre-de-l-europe-509960.html

[3] Der Spiegel, 2 janvier 2006, p. 51. Cité in Vladimiro Giacché, Le second Anschluss. L'annexion de la RDA. Édition Delga, 2015, p 96.

Extraits de sa déclaration politique « Debout devant les vainqueurs ! » faite devant le Tribunal de Grande Instance à Berlin, le 3 décembre 1992.

« Mesdames et Messieurs !

Cette mise en examen et cette procédure judiciaire ne recevront pas l’apparence de la légalité par une défense de ma part contre l’accusation d’homicide involontaire, de toute évidence sans fondement. Ma défense est d’autant plus superflue que je ne vivrai plus au moment du verdict. La peine que vous me destinez, ne me parviendra plus. Aujourd’hui , tout le monde le sait. Même vu uniquement de ce point de vue, ce procès contre moi est une farce, une comédie politique.

Absolument personne dans les vieux lands, la ville de Berlin-Ouest incluse, ne possède le droit de mettre en examen ou même de condamner mes camarades coaccusés, moi et n’importe quel citoyen de la RDA [ République Démocratique Allemande ] à cause d’actes commis en remplissant des responsabilités d’État en RDA.

Si je parle ici, c’est seulement pour témoigner en faveur des idées du socialisme, en faveur d’une appréciation politiquement et moralement juste de la République Démocratique Allemande reconnue à l’international par plus de cent États. Cette république, maintenant qualifiée « d’État d’Injustice » par la RFA [ République Fédérale d’Allemagne ], fut membre du Conseil de sécurité de l’O.N.U, remplit de temps en temps la présidence du Conseil et une fois la présidence de l’Assemblée générale de l’O.N.U .

Je n’espère pas de ce procès et de ce tribunal l’appréciation politiquement et moralement juste de la RDA. Mais cette comédie politique me donne l’occasion de porter mon point de vue à la connaissance de mes concitoyens.

Ma situation dans ce procès n’est pas inhabituelle. L’État de Droit allemand a déjà inculpé et condamné Karl Marx, Auguste Bebel, Karl Liebknecht et beaucoup d’autres socialistes et communistes. Le Troisième Reich a poursuivi cette politique en gardant des juges de l’État de Droit de la République Weimarienne pour ses procès. J’ai moi-même vécu un tel procès en tant qu’accusé. Après le démantèlement du fascisme allemand et de l’État hitlérien, la RFA n’avait pas besoin de chercher de nouveaux procureurs et juges pour poursuivre massivement des communistes, leur retirer travail et pain par les tribunaux du travail, et de les suspendre des services publics par les tribunaux administratifs. Maintenant c’est à nous les communistes est-allemands de vivre ce qu’ont vécu nos camarades d’Allemagne de l’Ouest dans les années 50. Depuis environ 190 ans règne le même arbitraire. L’État de Droit en RFA n’est pas un État de Droit, mais un État de droite. 

[...] Les politiciens et les juristes se disent obligés de condamner les communistes, parce qu’ils n’ont pas condamné les nazis. Cette fois-ci il faut assumer le passé. Cela paraît être un argument convaincant pour beaucoup de gens. Mais il s’agit d’un pseudo-argument. La vérité, c’est que la justice allemande de l’ouest ne pouvait pas condamner les nazis, parce que les juges et les procureurs ne pouvaient pas se condamner eux-mêmes. En vérité, le niveau de la justice en RFA, quel que soit comment on la juge, est aujourd’hui dû aux nazis intégrés. La vérité, c’est que les communistes, les citoyens de la RDA sont aujourd’hui poursuivis pour les mêmes raisons qu’avant en Allemagne. Ce ne fut le contraire que pendant les 40 ans de l’existence de la RDA. Maintenant, il faut « mettre à jour tout ce qui est resté en attente ». Evidemment, tout cela est fondé sur le droit. Cela n’a absolument rien à voir avec la politique.

Les juristes de premier plan de ce pays, qu’ils soient des partis du gouvernement ou du Parti social-démocrate, nous supplient d’admettre que notre procès est une procédure pénale normale, et en aucun cas un procès politique voire un procès-spectacle.

Les juristes de premier plan de ce pays, qu’ils soient des partis du gouvernement ou du Parti social-démocrate, nous supplient d’admettre que notre procès est une procédure pénale normale, et en aucun cas un procès politique voire un procès-spectacle. On arrête les membres des organes d’Etat suprêmes de l’Etat voisin et on déclare que cela n’aurait pas de raison politique. On dispute les décisions des généraux d’une alliance militaire ennemie et dit que cela n’aurait pas de raison politique. On qualifie de criminels ceux qu’on a honorablement reçu, hier encore, comme invités de l’Etat et partenaires dans l’effort commun pour éviter une nouvelle guerre en Allemagne. Cela aussi, n’aurait rien à voir avec de la politique.

On accuse des communistes, qui ont toujours été poursuivis depuis qu’ils sont apparus sur la scène politique. Mais aujourd’hui en RFA, cela n’a rien à voir avec de la politique.

Pour moi, et à mon avis, pour chaque personne sans idées préconçues, c’est clair : Ce procès est aussi politique qu’un procès contre la direction politique et militaire de la RDA le serait. Celui qui ignore cela ne se trompe pas – il ment. Il ment pour tromper de nouveau le peuple. Avec ce procès, on fait ce qu’on nous reproche. On se débarrasse des ennemi politiques avec les moyens du Droit pénal. Mais évidemment, tout cela est fondé sur le Droit.

D’autres circonstances font reconnaître sans mal que le procès suit des objectifs politiques. Pourquoi est-ce que le chancelier fédéral et Monsieur Kinkel, ancien chef des services secrets, plus tard ministre de la justice et encore plus tard ministre des affaires étrangères, voulaient-ils coûte que coûte me faire revenir en Allemagne, et m’enfermer à Moabit [arrondissement de Berlin, où se trouve la maison d’arrêt], où j’ai déjà été enfermé une fois sous Hitler ? Pourquoi le chancelier me laissait-il voler à Moscou, pour faire ensuite pression sur Moscou et le Chili afin qu’ils m’extradent, à l’encontre de chaque droit international civil? Pourquoi les médecins russes devaient-ils falsifier les bons diagnostics posés sans hésitation? Pourquoi me fait-on parader, avec mes camarades qui ne vont pas mieux que moi, devant le peuple, comme les Césars romains faisaient, à l’époque, parader leurs prisonniers? […]

La défaite de la RDA et du socialisme en Allemagne et en Europe ne leur est vraisemblablement pas suffisante. Il s’agit d’anéantir tout ce qui, de cette époque où ouvriers et paysans gouvernaient, les feraient apparaître dans une lumière terrible, criminelle. On veut la défaite totale du socialisme et la victoire de l’économie de marché, comme on appelle euphémiquement le capitalisme aujourd’hui. On veut, comme le disait jadis Hitler devant Stalingrad, « que cet ennemi ne se relève jamais ». Les capitalistes allemands ont toujours eu cette tendance.

Ce but de ce procès, celui de tuer encore une fois le socialisme déjà prétendu mort, montre comment M. Kohl, comment le gouvernement et l’opposition de la RFA évaluent la situation.

Le capitalisme est économiquement destiné à mourir à force de vaincre comme l’était jadis Hitler à force de vaincre militairement. Le capitalisme a mondialement atteint une voie sans issue. Il n’a plus que le choix entre une chute dans le chaos écologique et social ou le renoncement à la propriété privée de moyens de production, donc le socialisme. Tous deux signifient sa fin. Pour les forces au pouvoir de la RFA, seul le socialisme semble apparemment être le danger immédiat. Ce procès veut l’empêcher, tout comme le veut la chasse contre le souvenir de la RDA déchue, et sa stigmatisation comme «Etat d’Injustice».

[...]

Le procès servira de base à la stigmatisation de la RDA en tant qu’«Etat d’injustice». Un Etat gouverné par des « criminels » comme nous, des « meurtriers », ne peut qu’être un « Etat d’injustice ». Quiconque fut proche de lui, citoyen de RDA conscient de ses devoirs, devra en porter les stigmates. Un «Etat d’injustice » ne peut avoir été gouverné et soutenu que par des « organisations criminelles » comme le MfS [ministère de la sécurité de l’Etat, surnommé stasi] et le SED [Parti socialiste unifié allemand]. La responsabilité collective, la condamnation collective s’installera, au lieu de la responsabilité individuelle, pour dissimuler le manque de preuves pour les crimes prétendus. Des pasteurs venus de la RDA se présentent pour une nouvelle inquisition, une chasse aux sorcières moderne. Seront ainsi exclus et bannis de la société sans pitié des millions de gens. Les moyens d’existence seront extrêmement limités pour beaucoup de gens. Il suffit d’être enregistré comme IM [collaborateur informel] pour subir la mort civile. Le journaliste, comme dénonciateur, sera couvert de louanges et largement rétribué, personne ne s’intéressera à son sacrifice. Le chiffre des suicides restera tabou. Et tout cela sous un gouvernement qui se dit chrétien et libéral et qui est toléré, voire soutenu par une opposition ne méritant ni ce nom ni l’appellation de « social ». Tout cela se passe sous la marque autoproclamée d’Etat de Droit.»

DISCOURS COMPLET, ICI : http://lepcf.fr/Debout-devant-les-vainqueurs-par

En hommage à Erich Honecker qui s'est éteint le 29 Mai 1994...
Articles
Retour à l'accueil