A propos de la « guerre des droits de douane »  déclenchée par les États-Unis contre la République populaire de Chine!

Un jour, à l'avenir, le monde se félicitera de l'existence de la Chine.

Xi Jinping (cité par François Bougon, Dans la tête de Xi Jinping, Solin/Actes Sud, 2017, p.193.)

Ajout d'un passage en fin d'article en rapport avec la situation en Irak, Syrie, Afghanistan... (25/04/2018 à 11:30)

Par Michel AYMERICH

«Au total, les produits chinois et américains visés représentent un montant de 100 milliards de dollars. C’est une grande part des 580 milliards de dollars de marchandises échangées en 2017 entre les deux pays. Si l’économie de la Chine reposait grandement sur les exportations il y a 20 ans, elle s’est depuis rééquilibrée vers la consommation intérieure et les services. En clair: l’impact de droits de douanes devrait être pour le moment relativement limité pour l’économie chinoise » rappelle le média SudOuest [1].

Quelles sont les raisons qui expliquent l'actuelle « guerre des droits de douane » déclenchée par les USA à l'encontre de la République populaire de Chine (RPC)?

Pour tenter d'y répondre et de permettre d’y voir plus clair, je partage ci-dessous un article de il manifesto. Il me paraît offrir quelques pistes intéressantes sur la voie de la recherche des réponses aux questions de fond.

Toutefois, j'observe que le vocabulaire choisi par l'auteur de l'article est emprunté au vocabulaire conceptuel dominant dans les sociétés «occidentales» qui ne sont autres en langage conceptuel clair que des sociétés capitalistes dirigées alternativement (pour donner le change...) par des partis de droite et de «gauche» au service du capitalisme.  Partis de droite et de «gauche» pour lesquels ce système est indépassable...

Un vocabulaire qui en soi masque une idéologie qui ne dit pas son nom et freine la compréhension des causes profondes qui sont à la source des dynamiques économiques, sociales et politiques opposées caractérisant en l’occurrence les deux systèmes économiques concurrents sur différents plans représentés par les USA d'une part et de l'autre par la RPC. 

Remplaçons, donc, dans cet article les termes d’apparence neutre tels que «États-Unis» par impérialisme nord-américain et «Chine» par République populaire de Chine, ainsi que «autres puissances de l'Occident» par puissances impérialistes secondaires et nous commencerons à entrevoir un tableau d'ensemble explicatif des mécanismes et motivations caractéristiques propres à l'ontologie de l'être social spécifique qui détermine chaque système concret en devenir.

Ici, la nature politique indépassable de l'impérialisme nord-américain et de l’État correspondant, comme celle de ses vassaux que sont les impérialismes secondaires vs la nature politique de la société socialiste chinoise en construction et de son État[2].

Société socialiste chinoise en construction caractérisée par une formation économique et sociale complexe, avec une série d'éléments économiques contradictoires, dont la dynamique d'ensemble est dirigée, à l'aide de l’État socialiste, par le Parti communiste chinois (PCC), lequel poursuit un but conscient, social et politique, sur le long terme.

Le recul phénoménal de la pauvreté en RPC est l'un des multiples exemples qui illustrent la poursuite d'une politique consciente du PCC sur le long terme...

La RPC est dirigée par un PC qui instrumentalise des mécanismes de marchés afin de rattraper le retard historique hérité par elle, sans passer par la phase historique des pays capitalistes riches (les pays impérialistes). Une phase qui consistait et consiste toujours en une économie capitaliste destinée ad vitam æternam à le demeurer, laquelle pour fonctionner et se perpétuer a conduit ou conduit toujours les partis qui la gèrent et la représentent à faire la guerre directement ou par pays interposés...

De par la volonté politique de la direction du PC chinois il y a une transition progressive, bien que non linéaire, de la formation économique et sociale chinoise (stade primaire du socialisme) - formation complexe avec ses différents éléments économiques constitutifs contradictoires, dont l'élément d'un capitalisme d’État particulier - au stade de socialisme développé.

Stade précédant la société communiste, «idéal suprême et objectif ultime» du PCC (Xi Jinping, 19ème congrès), laquelle présuppose pour advenir en Chine un environnement international correspondant...

"Il faut également comprendre que, bien que la principale contradiction sociale ait changé, notre affirmation sur la phase historique où se trouve le socialisme en Chine n'a pas changé : notre pays se trouve et se trouvera encore longtemps dans le stade primaire du socialisme, et cette réalité fondamentale n'a pas changé ; la Chine demeure le plus grand pays en développement dans le monde, et ce statut international n'a pas changé. Tous les membres du Parti sont appelés à lutter pour faire de la Chine un grand pays socialiste beau, moderne, prospère, puissant, démocratique, harmonieux et hautement civilisé." (Xi Jinping)

François Bougon qui récemment a publié Dans la tête de Xi Jinping rappelle, non sans ce dépit hélas caractéristique aujourd'hui en France chez les «sinologues», le passage suivant d’un document officiel récent : il existe «un piège idéologique visant notre nation, avec l’objectif de détruire le statut du marxisme et de le remplacer par l’idéologie de la bourgeoisie occidentale. […] Notre nation est une nation socialiste avec une histoire spécifique et des réalités uniques. La détermination du système ou des méthodes appropriées à notre nation doit être décidée par nos circonstances nationales. Copier simplement le système politique d’un autre pays serait stupide et pourrait même avoir des conséquences dramatiques pour notre avenir. La Chine est une nation socialiste et une superpuissance en développement

Un peu plus loin François Bougon cite également un passage, extrait du même document chinois. Il écrit: «Sur le plan économique, la crise des subprimes de 2008 née aux États-Unis est qualifiée de «banqueroute complète du néolibéralisme » : elle « démontre que le capitalisme contemporain n’a pas résolu fondamentalement la contradiction inhérente qui existe entre les productions publique et privée ». « Les crises économiques périodiques sont le produit inévitable de la contradiction fondamentale du capitalisme. C’est précisément parce que les politiques économiques du socialisme de marché emploient un modèle différent, où les moyens de production sont propriété commune, que les crises économiques sont non seulement évitables, mais aussi prévisibles. » [3]

Qu'en est-il de l'économie en Chine? Thème extraordinairement mal compris parce-que soumis à une déformation idéologique systématique en France.

Le texte de Lénine, Cinq ans de révolution russe et les perspectives de la révolution mondiale (Rapport présenté au IVe congrès de l'Internationale Communiste, le 13 novembre 1922) où le révolutionnaire invite à réfléchir sur le rôle du capitalisme d’État sous direction communiste dans la période du passage à une société socialiste, peut aider à comprendre en partie la méthode d'approche des questions économiques par la direction chinoise: 

«La question que je me posais — au cours d'une polémique qui n'a rien à voir avec la question que nous sommes en train d'examiner, — était celle-ci : quelle est notre attitude à l'égard du capitalisme d’État ? Et je me suis fait cette réponse : le capitalisme d’État, sans être une forme socialiste, serait pour nous et pour la Russie une forme plus favorable que celle d'aujourd'hui. Qu'est-ce à dire ? C'est que, tout en ayant déjà accompli la révolution sociale, nous n'avons surestimé ni les germes ni les principes de l'économie socialiste.

Au contraire, déjà à ce moment nous avions conscience, jusqu'à un certain point, de cette vérité : oui, en effet, mieux eût valu passer d'abord par le capitalisme d’État pour, ensuite, arriver au socialisme. »[4].

Le 14 novembre 1922, Lénine clarifiait de nouveau la signification de ce capitalisme d'Etat particulier en régime politique socialiste, c'est-à-dire dirigé par un parti de la classe ouvrière: un parti communiste...

Méthode, dont tout indique qu'elle n'avait pas échappée à l’attention de Deng Xiaoping (voir déjà à Zhou Enlai [5]), l'initiateur principal de la politique qui a conduit à la Chine d'aujourd'hui, et que cette méthode est fondamentalement partagée par ses successeurs...

L'article de il manifesto se termine par des allusions à la Syrie et à l'Irak, ainsi qu'à l'intervention en Afghanistan. Je ne saurais que rappeler que dans ces trois pays comme dans l'ensemble des pays historiquement islamisés a eu lieu, et cela continue, une entreprise de réislamisation soutenue par l'allié stratégique de l'impérialisme nord américain (et ses vassaux) qu'est l'Arabie saoudite [6], mais pas seulement!

Qatar, Turquie néo-ottomane (membre important de l'OTAN!), État islamique, République islamique d'Iran se disputent le rôle de principal vecteur de cette réislamisation.

Cette réislamisation par voie de soutien à l'Islam intégriste (Islam sunnite vs Islam chiite), épuré des influences progressistes qui accéléraient sa décomposition, est l'un des facteurs de l'apparent chaos qui se manifeste dans ces pays en particulier et dans d'autres...

NOTES :

[1] https://www.sudouest.fr/2018/04/04/chine-etats-unis-guerre-commerciale-et-droits-de-douane-ce-que-l-on-sait-4343035-705.php

[2] Texte intégral du rapport de Xi Jinping au 19e Congrès national du PCC, http://a-contre-air-du-temps.over-blog.com/2017/11/texte-integral-du-rapport-de-xi-jinping-au-19e-congres-national-du-pcc.html

[3] François Bougon, Dans la tête de Xi Jinping, Solin/Actes Sud, 2017, pp.176-176.

[4] Extraits du texte de Lénine qui permet de mieux comprendre la façon de poser le problème lié à la question du rôle du marché en Chine: «Ainsi, en 1918, j'étais d'avis que, par rapport à la situation économique de la République des Soviets à l'époque, le capitalisme d’État était un pas en avant. Cela paraît très étrange et peut-être même absurde ; car déjà à ce moment notre République était une république socialiste ; nous adoptions alors chaque jour, avec la plus grande précipitation, — précipitation excessive sans doute, — de nouvelles mesures économiques de toute sorte que l'on ne saurait qualifier autrement que de mesures socialistes. Néanmoins, je pensais que, compte tenu de la situation économique qui était à l'époque celle de la République des Soviets, le capitalisme d’État était un pas en avant.

Et pour expliquer cette pensée, j'ai énuméré simplement les éléments du régime économique de la Russie.

Voici quels étaient, selon moi, ces éléments : « 1° la forme patriarcale, c'est-à-dire la forme la plus primitive de l'agriculture ; 2° la petite production marchande (ici se classe également la majorité des paysans qui vendent du blé) ; 3° le capitalisme privé ; 4° le capitalisme d’État et 5° le socialisme. »

Tous ces éléments économiques existaient dans la Russie de ce temps. Je m'étais assigné pour tâche d'élucider leurs rapports, et je me demandais s'il ne convenait pas de considérer l'un des éléments non socialistes, en l'espèce le capitalisme d’État, comme supérieur au socialisme. Je le répète : cela paraît fort étrange à tous de voir que dans une République qui se proclame socialiste, un élément non socialiste soit considéré comme supérieur, comme placé au-dessus du socialisme.

Mais la chose devient compréhensible, si vous vous rappelez que nous ne considérions nullement le régime économique de la Russie comme un système homogène et hautement évolué ; nous nous rendions entièrement compte qu'en Russie l'agriculture patriarcale, c'est-à-dire la forme la plus primitive de l'agriculture, existait à côté de la forme socialiste.

Quel rôle pouvait donc jouer le capitalisme d’État dans ces conditions ?

Je me demandais ensuite : lequel de ces éléments prédomine ? Il est clair que dans un milieu petit-bourgeois, c'est l'élément petit-bourgeois qui domine.

Je me rendais compte alors que ce dernier prédominait ; il était impossible de penser autrement.

La question que je me posais — au cours d'une polémique qui n'a rien à voir avec la question que nous sommes en train d'examiner, — était celle-ci : quelle est notre attitude à l'égard du capitalisme d’État ? Et je me suis fait cette réponse : le capitalisme d’État, sans être une forme socialiste, serait pour nous et pour la Russie une forme plus favorable que celle d'aujourd'hui. Qu'est-ce à dire ? C'est que, tout en ayant déjà accompli la révolution sociale, nous n'avons surestimé ni les germes ni les principes de l'économie socialiste.

Au contraire, déjà à ce moment nous avions conscience, jusqu'à un certain point, de cette vérité : oui, en effet, mieux eût valu passer d'abord par le capitalisme d'Etat pour, ensuite, arriver au socialisme. » http://lesmaterialistes.com/lenine-cinq-ans-revolution-russe-perspectives-revolution-mondiale

[5] Michel Aymerich, 120ème anniversaire de Zhou Enlai! http://a-contre-air-du-temps.over-blog.com/2018/03/120eme-anniversaire-de-zhou-enlai.html

[6] Voir Michel Aymerich, Mohamed Ben Salmame révèle l'utilisation de la réislamisation pour contrer l'URSS... http://a-contre-air-du-temps.over-blog.com/2018/04/mohamed-ben-salmame-revele-l-utilisation-de-la-reislamisation-pour-contrer-l-urss.html

A propos de la « guerre des droits de douane »  déclenchée par les États-Unis contre la République populaire de Chine!
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A propos de la « guerre des droits de douane »  déclenchée par les États-Unis contre la République populaire de Chine!

il manifesto

La guerre des droits de douane déclenchée par les États-Unis contre la Chine et les nouvelles sanctions contre la Russie sont des signaux d’une tendance qui va au-delà des événements actuels. Pour comprendre ce qu’elle est il faut remonter une trentaine d’années en arrière.
    En 1991 les Etats-Unis, sortis vainqueurs de la guerre froide et de la première guerre de l’après-guerre froide, celle du Golfe, déclarent être restés “le seul État avec une force, une portée et une influence en toutes dimensions -politique, économique et militaire- réellement mondiales” et que dans le monde “il n’existe aucun substitut au leadership américain”. Faisant confiance à l’hégémonie du dollar, à la portée mondiale de ses propres multinationales et de ses propres groupes financiers, au contrôle des organisations internationales (FMI, Banque mondiale, WTO), les États-Unis instaurent le “libre commerce” et le “libre mouvement des capitaux” à l’échelle mondiale, en réduisant ou éliminant droits de douane et règlements. Les autres puissances de l’Occident avancent dans leur sillage.
   La Fédération Russe, en profonde crise après la désagrégation de l’URSS, va être considérée par Washington comme une terre de conquête facile, à démembrer pour mieux en contrôler les grandes ressources.
     La Chine, qui s’est ouverte à l’économie de marché, semble elle aussi facile à conquérir avec les capitaux et produits étasuniens et exploitable comme grand réservoir de main d’oeuvre à bas coût.
   Trente ans plus tard, le “rêve américain” de la domination mondiale incontestée s’est évanoui. 
   La Russie, s’étant constitué un front intérieur en défense de sa souveraineté nationale, a dépassé la crise en retrouvant le statut de grande puissance.
   La Chine, l’“usine du monde” dans laquelle produisent aussi des multinationales étasuniennes, est devenue le premier exportateur mondial de denrées et effectue des investissements croissants à l’étranger. Elle défie aujourd’hui la suprématie technologique des États-Unis. Le projet d’une nouvelle Route de la Soie -un réseau routier, ferroviaire et maritime entre Chine et Europe à travers 60 pays- place la Chine à l’avant-garde dans le processus de mondialisation, alors que les États-Unis se barricadent en érigeant des barrières économiques.
   Washington observe avec une préoccupation croissante le partenariat économique et politique entre Russie et Chine, qui défie l’hégémonie du dollar même. N’arrivant pas à contrecarrer ce processus avec seulement des instruments économiques, les États-Unis ont recours aux instruments militaires. Le coup d’État en Ukraine et l’escalade consécutive, y compris nucléaire, en Europe, le déplacement stratégique en Asie, les guerres en Afghanistan et Syrie, font partie de la stratégie par laquelle les USA et les autres puissances de l’Occident essaient de garder la domination unipolaire dans un monde qui est en train de devenir multipolaire.
  Cette stratégie est cependant en train de subir une série d’échecs. Russie et Chine, soumises à une pression militaire croissante, ont réagi en renforçant leur coopération stratégique.
    La Russie, non seulement n’a pas été envoyée dans les cordes mais, avec un coup par surprise, est intervenue militairement en soutien de l’État syrien qui, dans les plans USA/OTAN, aurait dû finir comme l’État libyen. En Afghanistan, USA et OTAN sont embourbés dans une guerre qui dure depuis plus de 17 ans. 
   Comme réaction à ces échecs, s’intensifie la campagne pour faire apparaître le Russie comme un ennemi dangereux : à cet effet, est utilisée même la fausse nouvelle des attaques chimiques en Angleterre et en Syrie. La technique est la même que celle utilisée en 2003 quand, pour justifier la guerre contre l’Irak, le secrétaire d’État Colin Powell présenta à l’ONU les “preuves” que l’Irak possédait des armes de destruction de masse. 
    Powell lui-même, en 2016, a dû admettre l’inexistence de ces armes. Mais en 15 années la guerre a provoqué plus d’un million de morts.
Edition de mardi 10 avril 2018 de il manifesto
https://ilmanifesto.it/in-crisi-limpero-americano-doccidente/ 
Traduit de l’italien par M-A P.
SOURCE : http://canempechepasnicolas.over-blog.com/2018/04/l-empire-americain-d-occident-en-crise-par-manlio-dinucci.html?utm_source=_ob_email&utm_medium=_ob_notification&utm_campaign=_ob_reader_digest
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